The Sunchaser - Michael Cimino (1995)
"May beauty be all around me"
Il est encore difficile aujourd'hui de considérer l'ampleur de la courte filmographie de Michael Cimino, 7 films en 30 ans de carrière, c'est peu mais pourtant mis bout à bout (en dehors de Desperate Hours qui reste à ses yeux qu'une simple commande alimentaire) chaque film se pose comme une pierre d'un édifice artistique incroyable racontant à chaque fois l'histoire de l'Amérique à travers ses mythes et ses réalités , se posant cette question "Qu'est ce que veut dire être Américain ?". Un cinéaste qui a toujours subi l'incompréhension des critiques et des majors qui n'y voient pour les uns, qu'un gourou de l'Amérique réactionnaire et pour les autres, une perte considérable de temps et d'argent, raison principale pour laquelle aujourd'hui Cimino n'est pas prêt à retourner derrière une caméra, trop fatigué de devoir se battre pour ses idéaux. Mais tout cela n'est pas grave, car son dernier long métrage sera l'occasion de boucler la boucle une bonne fois pour toutes et condenser en deux heures tout ce qu'il n'avait jamais pu faire jusque là, tout en restant dans les codes du cinéma populaire américain avec ce road movie sur fond de prise d'otages qui va prendre des allures mystiques. Difficile pour moi de surpasser ce qui s'annonce comme une oeuvre-somme, le film le plus important des années 90 avec Dead Presidents, rien que ça.
Ayant enfin acquis l'indépendance qu'il avait perdue lors de la débâcle de Heaven's Gate avec The Sunchaser, Cimino n'en oublie pas son passé avec Dino DeLaurentiis et garde une trame narrative extrêmement simple, accessible pour le public normal (il y a beaucoup de degrés de lecture qui s'entrecroisent dans ce film, c'est remarquable). Sa mise en scène classique prend sens dans la caractérisation des personnages et de leurs rapports sociaux dans l'Amérique d'aujourd'hui, d'un côté un médecin bourgeois amateur de belles bagnoles et vivant une classe huppée et de l'autre un jeune délinquant de 16 ans, inéduqué au premier abord, vivant dans un climat social trouble et peu enclin à suivre les règles imposées par la société vont être mis face à face dans leurs différences et se rendre compte malgré eux du problème qui ronge l'Amérique d'aujourd'hui : le fait que cette terre d'accueil préfère cultiver l'indifférence et les inégalités, dans des futilités d'usage (appât du gain, carriérisme, égoïsme), là où beaucoup de réalisateurs prendrait un film entier sur la chose, il ne faut que 30 minutes à Cimino pour poser un regard lucide, plein d’amertume mais quelque part optimiste sur un pays qui perd peu à peu ses idéaux.
Le film aurait pu s'en arrêter là, mais la subtilité de Cimino est telle qu'il va employer une narration à rebours, comme un oignon dont on ôterait progressivement ses nombreuses peaux pour arriver au cœur, la pureté absolue de l'âme humaine. Plus nos compères avancent vers leur eldorado plus les enjeux matériels s'amincissent : le docteur attaché à ses objets, va balancer tout ce qui lui appartient, devenir moins donneur de leçons, tandis que Blue, lui va montrer une intelligence, une grandeur d'âme que n'importe quel être humain n'aurait pu soupçonner. Ils représentent le yin et le yang, deux opposés mais qui réunis sont quelque part le juste milieu d'une société telle que l'imagine Michael Cimino : une société égalitaire qui ne regarderait pas la race, n’effectuerait aucun jugement moral et s'attacherait à montrer ce que chaque individu à de meilleur en lui (Blue le montrera à plusieurs reprises).
Comme je l'ai dit le film adopte une narration à rebours, à travers le motif du road-movie, Sunchaser demeure à mes yeux un voyage dans le temps, où l'on passe des grands espaces urbains sans charme et sans vie de Los Angeles, aux bourgades rétrogrades qui furent le chainon manquant entre le Far West et l'Amérique moderne, jusqu'au réserves indiennes qui restent le dernier vestige ce qui fut l'Amérique d'autrefois. Car contrairement à ses congénères auquel il est souvent comparé comme Eastwood ou Costner, Cimino insiste lourdement sur le fait que l'Amérique n'est pas née avec les cowboys et tient à rétablir la vérité sur les fondements de la pensée américaine censée s'ouvrir aux différentes cultures et non les détruire (rien d’étonnant à cela, puisque l'Amérique est une terre d'immigrés en tout genres). Sunchaser parle aussi de croyance, dans le sens le plus large du terme, la différence entre le médecin et le prisonnier, c'est que l'un est cynique par sa formation et ne croit donc pas au mysticisme, alors que Blue base tout ses espoirs dessus pour espérer guérir de sa maladie incurable par la médecine traditionnelle, par là le film sous-entend qu'il vaut parfois mieux croire en quelque chose jusqu'au bout même si cela ne se concrétise pas, plutôt de rester les bras et réfuter la moindre parcelle d'espoir, c'est probablement la plus grande leçon qu'il aura a lui offrir et à nous spectateurs par la même occasion.
Difficile de retenir ses larmes devant un voyage aussi beau, plein d'espoir et qui nous donne foi en ce pays aussi bordélique que l'Amérique. C'est l’œuvre d'un amoureux, qui serait prêt à tout pour défendre ses valeurs nobles, merci pour tout monsieur Cimino, si seulement un réalisateur parvenait à atteindre un centième de la pureté de votre film, qu'il en soit loué et vous pourrez mourir tranquille.
10/10