Alors que
Bullet Ballet exprimait un propos trop auteurisant à mon goût avec une mise en scène finalement trop en retrait par rapport à son sujet,
Tokyo Fist propose à ce titre une expérience bien plus concluante. Encore une fois on ne nous tient pas la main avec un scénario qu'on serait bien en peine de résumer (malgré son trio "amoureux" simple sur le papier) tant Tsukamoto se fait un malin plaisir à imploser les canevas narratifs, en implantant son univers urbain à renfort d'un montage image-son explosif, technoïde, et sombre à souhait, dans lequel les individus sont compressés (les cadres jouent beaucoup de la tension entre l'individu et la ville) et poussés dans leurs limites, tirés d'un train-train quotidien relativement tranquille mais amorphe.
Rarement on aura vu la boxe, l'un des grands fils thématiques du film, traité de cette manière, surréaliste et vénère à souhait. A cause de ces passages où les boxeurs semblent se plaire à se défoncer la tronche, semble-t-il pour ressentir de nouveau,
Tokyo Fist a souvent été comparé au
Fight Club de David Fincher. Si la filiation n'est pas si bête que ça (les personnages ne sont-ils pas également en quête d'identité, face à un cadre oppresseur, en expérimentant la souffrance comme manière d'aller au bout d'eux-mêmes ?), la proposition formelle de Tsukamoto, limite mutique, ainsi que la finalité, bien plus optimiste chez Fincher, sont vraiment différentes de celle de son homologue : chez lui, les corps, par la violence qu'on leur inflige, tant par la boxe que par les tatouages, piercings à vif, et autres, deviennent la marque même de cette quête d'identité (recherchée ou subie, telle est la question), et non une simple étape.
La mise en scène est vraiment le point fort du film, où Tsukamoto y concentre une énergie incroyable, portant à bout de bras son propos en tentant plein de choses à l'image souvent lourdes de sens. Elle est aussi parsemée de petits moments calmes et contemplatifs assez géniaux qui ne sont pas juste là pour permettre au spectateur de reprendre son souffle, mais aussi pour prendre le pouls de ces personnages en pleine dérive. Leur part excessive est aussi marquée par une belle utilisation binaire des couleurs bleue et rouge qui marque durablement la rétine.
Au final,
Tokyo Fist est un film exténuant, brutal, et pessimiste, un véritable électrochoc physique qui ré-interroge avec un esprit punk assumé notre place dans la société, où le corps devient le produit de fusions, alliage de muscles, de sueur, de sang, et aussi de métal. On l'a compris, avant d'être un film sociétal,
Tokyo Fist est une pure expérience de cinéma qui me sera difficile de revoir de si tôt tant il met nos nerfs à rude épreuve, certainement l'une des oeuvres les plus abouties de l'un des formalistes les plus originaux, audacieux, et énervés de la nouvelle vague japonaise. Rien que pour cette raison il serait malheureux de bouder cette pépite noire.