[Nulladies] Mes critiques en 2015

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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Jimmy Two Times » Jeu 24 Sep 2015, 07:12

Un film que j'ai toujours voulu découvrir mais tu viens de me scier les pattes avec ta référence au cinéma des Dardenne.
I'm the motherfucker who found this place!
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar osorojo » Jeu 24 Sep 2015, 07:43

Je pense qu'il les cite pour l'intention et le côté réaliste brutal. Déjà, formellement, on est dans autre chose avec Oslo, plus graphique, plus posé. Après, moi j'aime bien aussi certains films des Dardenne (j'ai peu de souvenir de Rosetta), mais je n'ai pas pensé à leur cinoche devant le film de JT.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Jeu 24 Sep 2015, 17:43

Jimmy Two Times a écrit:Un film que j'ai toujours voulu découvrir mais tu viens de me scier les pattes avec ta référence au cinéma des Dardenne.


Non non non, je retire, surtout va le voir. Oso a raison, c'est l'aspect collé au personnage qui m'a fait penser à ça. Ce n'est pas la même âpreté naturaliste, c'est plus mélancolique, voire lyrique par instants. Fonce. :)
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Gerry - 7/10

Messagepar Nulladies » Ven 25 Sep 2015, 05:22

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Au loin s’en vont les mirages.

Gus Van Sant fait partie de ces réalisateurs finalement assez rares capables de s’illustrer dans un canevas on ne peut plus classique tout en s’offrant, de temps à autre, des expérimentations en roue libre. Reste à savoir en quoi une tendance aide à contempler l’autre : ses films formatés ont-ils une singularité cachée, ou ses audaces des coutures tenaces ?

La musique qui ouvre Gerry pourrait aller dans le sens de cette hypothèse : recourir au sublime Arvo Pärt pour suivre ses protagonistes, comme il le fit avec Beethoven dans Elephant, instaure un climat propice au charme indicible, entre lyrisme mutique et durée au-delà du raisonnable.

On peut gloser sans fin sur cette errance, qui contamine de ses circonvolutions la forme même du récit, des échanges et du rythme. Evidemment, le même prénom attribué aux deux personnages nous laisse penser qu’il s’agit là d’une seule et même personne ; mais on est bien loin d’une intrigue à twist sur le modèle de Fight Club. Ce qui semble importer ici, c’est la fusion, voire la dilution de l’homme avec la nature. Loin de l’idéal romantique inaccessible d’Into the Wild, on rejoindrait plutôt les réflexions initiées par Antonioni dans Zabriskie Point et prolongées par Dumont dans Twentynine Palms : celle d’un décor aussi fascinant que dévorateur, dont la contemplation explicite l’infime place de l’homme, et de l’individu, face au monde. Dès lors, les repérages sont inutiles, la mesure du temps une illusion. Les conversations s’étiolent et prennent la forme de monologues dérisoires : l’homme est perdu, ses stratégies sont inopérantes, sa marche dénuées de direction.

Ne reste que le trajet.

C’est là la force et le parti pris majeur de Gerry : s’extraire des contingences du récit traditionnel pour explorer une parenthèse mentale, voire existentielle. Gus Van Sant oppose au relâchement général des structures une opiniâtre poursuite de ses personnages, qu’on ne lâche presque jamais, si ce n’est le temps de quelques panoramiques en caméra subjective, contemplation de l’immensité naturelle de plus en plus hostile. La durée des plans, des travelling en poursuite d’une marche interminable, met à rude épreuve les habitudes du spectateur, plongé lui dans une expérience aussi audacieuse que celle des personnages. On ne peut s’empêcher de penser à cet usage de la lenteur que fait Béla Tarr dans Les Harmonies Werckmeister ou Apichatpong Weerasethakul dans Cemetery of Splendour : comment se placer face à cet au-delà du raisonnable ? La fascination le dispute au rejet, et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’indifférence n’est pas de mise. Très étudiés, les mouvements jouent souvent sur la découverte : soit, pour les personnages, d’une incongruité, comme l’apparition sous forme de mirage d’un troisième Gerry ; soit, pour les paysages, d’une impossibilité de conclure qui donne la pleine mesure de l’infini dans lequel sont perdus les figures humaines.

Au bout du trajet, la fascination demeure. La parole s’est écorchée et semble avoir subi le même sort que celle que Beckett lui réserve dans son théâtre : vaine, on lui préfère le mouvement pur, décroché, de l’appréhension de l’espace et du temps qui se déroule, immuable et impassible. Ce déroulement, le cinéma semble à même de le restituer. C’est là la quête de Gerry.
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Thor - 1/10

Messagepar Nulladies » Sam 26 Sep 2015, 06:31

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 18

Paris, février 2009. Siège de Canal +, une annexe. Machine à café qui vrombit, néons, parois vitrée au teint laiteux, lino. Une table basse sur laquelle trainent des vieux billets de tac-o-tac.

- Un genre de rom-com, tu vois, assez trash, avec des jeunes issus du stand-up et des animaux.
- Bien Dominique, je vois le genre. Du Farrugia, quoi.
- Mais bon, on est pas là pour parler de ça.
- Non, t’as raison.
- Je retrouve pas mon ami de toujours, mon Eric Judor de mon cœur, pour me frire des gencives de porc.
- Quelle soirée, tout de même. Un cocktail avec Nathalie Portman et Kenneth Branagh !
- Ouais. Ou plutôt Nathalie Portman et Kenneth Branagh avec des cocktails dans la gueule.
- On les a bien entubés, hein.
- Faut dire, ils connaissent pas les français. On gagne les paris à tous les coups.
- Toujours facile, avec la biture et les œufs durs. Et maintenant ils doivent faire le film qu’on va leur concocter.
- Ouais, j’ai des tas d’idées. Et attends ma couille, tu vas me vénérer : Bernard Tapie a une sextape du boss de Marvel avec des mineures et des fruits de mer. Autant te dire qu’il se dit prêt à nous ouvrir ses portes.
- Royal.
- Voilà, je me suis dit, Thor, c’est bien. Pour Branagh, tu vois, esprit shakespearien, tout ça, ça va lui tronçonner la glotte de devoir faire le parallèle en promo.
- Excellent. Portman, il lui faut un rôle de potiche, mais bien. Genre cache-pot, en fait. Tu lui donne le charisme d’une présentatrice de JT de France 3 Régions.
- Ouais, une scientifique, quoi.
- Voilà. Avec un bellâtre teuton qui fleure bon les valeurs de la mythologie celte.
- Et son gros marteau.
- Arf. Je veux du LAID, hein. Leur royaume, qu’ils en fassent le temple du kitsch, un truc bien rutilant qui donne envie d’y tourner un clip de Queen, avec du doré partout et des costumes à corne.
- Putain ouais. Et tant qu’on y est, on fout un noir et un asiatique dans leurs jeunesses hitlériennes. Et des femmes walkyries.
- Genre Xena, Jackie Chan et Robin des bois low cost.
- Voilà, et on les force à les décrire comme ça. Genre une vanne, auto-dérision à pleurer.
- Putain, je kiffe. Kenneth va pas s’en remettre.
- Bon, oublie pas qu’on est dans un Marvel aussi. Blockbuster, effets spéciaux, tout ça.
- T’inquiète, j’ai tout prévu. J’ai fait une carotte dans les égouts du 7ème art, ma couille, écoute moi ça : on va reprendre les pouvoirs de Schwarzenegger dans Batman et Robin, qui transforme les gentils en mister freeze.
- Ouh, c’est laid ça.
- Je veux des yeux rouges chez les méchants. Et le gadget hologramme de Total Recall. Et des dalles arc-en-ciel où pourraient s’ébattre des licornes.
- Et un méchant robot géant comme dans X-or !
- Putain ouais, t’as raison, avec la tête de Red is Dead, mais qui dégueule un laser !
- Attends, j’ai pas fini : pour l’humour, on tire la chasse du côté des Visiteurs : genre dingue, des mecs en armure dans l’Amérique du XXIè siècle, tout ça. Et puis des effets à la Twister : ça doit bien puer, je veux qu’ils fassent appel à un studio soviétique pour la CGI.
- Surtout, pas de moyens. Pas d’épique. De la merde, un petit film pas intéressant, chiant, dans une ville de trois bicoques, une histoire d’amour improbable.
- Je veux humilier Nathalie, qu’elle continue le grand écart qu’elle feintait dans Black Swann, avec un vrai furoncle dans sa filmo.
- Putain ouais, on est de génies du mal mon pote.
- Et tu sais pas la meilleure ? Branagh veut remettre ça, cet enfoiré de british. Il pense pouvoir se refaire ! Buffet Rabelaisien dans le Gers, la semaine prochaine. Je vais le faire vomir du saindoux par les narines, et crois-moi, il va le payer cher, son pari.
- Genre un Disney, tant qu’on y est !
- Putain, ouais, Cendrillon !!!
- Putain, y’a pas à dire, il va cartonner.
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Marguerite - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 27 Sep 2015, 06:20

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Voix de garage

Marguerite avait a priori tout pour me déplaire, appartenant à cette catégorie de films français qui n’est pas la mienne, à la fois ambitieux dans leur volonté d’imiter les biopics à l’américaine (reconstitution plantureuse, rôle à césar…) et fleurant bon la France dans sa supposée subtilité de propos.
Mais je me suis retrouvé tel Ulysse face aux sirènes à la lecture de la presse qui chante unanimement les louanges de ce film. Reste à savoir si elle chantait juste.

Marguerite était un sujet en or pour Xavier Giannoli, qui dès A l’origine puis dans Superstar questionne sans relâche le sujet de l’imposture et du rapport plus ou moins consenti au mensonge. Le monde qu’il décrit, celui d’une aristocratie qui supporte servilement les délires de la riche baronne, est d’une causticité efficace, et prend une ampleur intéressante lorsque la jeunesse s’empare du phénomène, du journaliste aux dadaïstes, avec une cruauté curieuse et insistante. Tout est supercherie, quel que soit le milieu dans lequel on s’exhibe : du faux accent de l’anarchiste aux applaudissements commandés, du respect à l’amour qu’on cache, le faste et l’audace se déploient sous les dorures du factice. Et le public en redemande.

Marguerite, un rôle taillé sur mesure pour Catherine Frot qui n’aura presque jamais cessé d’être l’originale au milieu des convenances mortifères, est la seule qui incarne la vérité, et elle se trompe. Cette tragique dynamique, ce rapport passionnel à un art, le chant lyrique, qui l’épanouit intimement sans qu’elle puisse le partager avec ses auditeurs, avait tout pour être un sujet sublime. Sur le fil, le récit tient un équilibre assez subtil entre le pathétique et le comique, et distribue une galerie assez profuse de seconds rôles qui ne déméritent pas pour donner le change à la grande fantasque ; le travail sur la photographie, superbe, ajoute à la fascination pour ce monde du paraitre, qui occasionne de nombreuses références à la mise en scène par le motif récurrent de la photographie et du regard caché, sortes de compensations à une ouïe déficiente.

Mais force est de reconnaitre que Giannoli n’est ni Mankiewicz, ni Wilder, et que cet opus souffre des mêmes faiblesses que ses précédents : son incapacité à limiter son propos et à le canaliser. De causticité, il n’est pas question très longtemps, et de façon à ce que l’illusion puisse se pérenniser, tout l’entourage de Marguerite devient une sorte de bande d’abord vénale, puis dans une empathie bien peu crédible, pour finir, comme dans les séries américaines, comme une petite troupe attendant avec angoisse à l’hôpital. Tout cela se noie vite dans les bons sentiments, l’amour ou son manque étant la quête ultime et éculée, accentué par une course scénaristique à la surenchère totalement dispensable. Bien trop long, le récit se perd dans des méandres permettant à Marguerite de déployer son délire en roue libre, l’émotion réelle de certaines séquences s’étiolant au profit d’une véritable circonspection.

Cette dépendance au romanesque et au pathos empêche le film de se révéler entièrement, et c’est là sa grande limite : comme son personnage, il reste prisonnier d’une image, de cette illusion de la nécessité d’une écriture emphatique pour pouvoir atteindre le plus grand nombre. Si seulement il avait su décaper tous ces artifices et modulations inutiles, il aurait su trouver pleinement sa voix.
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Assaut - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 01 Oct 2015, 05:55

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Requiem for a team.

Ecoutez plutôt :

C’est un petit rythme sec, 6 coups narquois, méchants comme les 70’s en train de mourir. Un assénement teigneux, qui ponctue le ballet des voitures et le silence des gangsters mutiques, dans l’attente d’une nappe synthétique grasse et volubile, celle du sang qui se mêle à la crème glacée d’une fillette.
Tout est là : trêve de parole, le mal est fait, et le récit choral qui se met en place ne cesse de chanter des épilogues : la vengeance des compagnons morts, les condamnés à la chaise électrique, et la figure elle-même de l’autorité, le commissariat, sur le point de fermer. Napoleon Wilson l’avait annoncé : “It's an old story with me. I was born out of time.” Tout n’est que convergence vers cette nuit totale, sans téléphone, ni électricité, où la violence va s’installer avec la jubilation imparable de ce tactactactactactac lancinant.
Il ne s’agit pas de faire dans le crédible : certes, le motif du bâtiment représentant la loi et assailli par ses opposants est un topos cinématographique, dès les séminaux Rio Bravo ou Fury. Mais ici c’est avant tout un motif visuel : comme dans le génial Die Hard, il s’agit d’explorer tous les potentiels d’un lieu destiné à la destruction : les assaillants anonymes s’enchainent comme dans un film de John Woo, les cadavres s’empilent, et on tire dans le tas. Carpenter est un puppet master, et s’en donne à cœur joie. Les motivations sont opaques, seule la réaction importe : à mesure que les cloisons se criblent de balles, la résistance s’organise. Mais, et c’est là la spécificité de ce film, les camps importent peu : les pourris sont aussi à l’intérieur, et même si les thèmes de circonstances s’échafaudent (l’héroïsme du lieutenant fidèle à sa mission, la rédemption, voire l’amour), tout n’est qu’ébauche, et le charme des personnages réside avant tout dans leur impassibilité, au premier rang desquelles on place celle de Laurie Zimmer, marmoréenne et aussi douée dans son regard perçant qu’à la gâchette.
Alors, qu’importe la linéarité, la lenteur étrange de certains affrontement, l’aspect gentiment fauché de toute cette entreprise, y compris dans sa façon façon de conclure. Carpenter en a vu d’autres, et nous donne à voir ce qu’il sait le mieux gérer : une expérience close dans laquelle ses cobayes se débattent, laboratoire qui prendra toute son ampleur dans le grand film à venir, The Thing.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Mr Jack » Jeu 01 Oct 2015, 18:35

:super:
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Mysterious Skin - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 02 Oct 2015, 07:59

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Celui qui croyait au fiel, celui qui n’y croyait pas.

Pour qui connait un peu l’univers de Greg Araki, les couleurs acidulées qui ouvrent son film ne sont guères surprenantes : elles renvoient à cet univers adolescent et kitch qu’il a l’habitude de déployer, et pour lequel l’adhésion est soit totale, soit aussi radical le rejet. Pourtant, le vocabulaire de l’enfance, d’une culture queer et d’une naïveté assumée tranchent ici assez vite avec le véritable propos.
Présenté rapidement comme une enquête, le récit s’organise autour de béances fondamentales, de vortex à partir desquels un certain nombre de fausses pistes vont surgir. Soucoupes volantes et histoire d’amour, idéalisation de l’enfance, résilience ou amnésie s’entremêlent dans une narration qui gère avec un véritable talent les ellipses narratives et passe de l’enfance à l’adolescence tout en maintenant le spectateur rivé à ces consciences brouillées, saturées d’indicible et contraintes de ménager avec ses zones d’ombre et ses mensonges.
C’est là la grande réussite de Mysterious Skin : l’authenticité des points de vue choisis. En doublant les rôles des traumatisés, Araki offre deux voies possibles : celui qui croyait au fiel, celui qui n’y croyait pas au point de l’occulter. Deux trajectoires qui se rejoingent sur un point, celle du constat terrible des dégâts commis par l’acte originel.
Il est facile de choquer lorsqu’on traite de la pédophilie, et Mysterious Skin est un film particulièrement difficile, mais précisément là où on ne l’attend pas. Certes, il ne s’embarrasse pas de métaphores pour évoquer la sexualité la plus avilissante, qu’il s’agisse du viol ou de la prostitution, mais il opte en un même mouvement pour une esthétique de la pudeur. Sans cesse sur le fil, il parvient à ne jamais quitter les points de vue des protagonistes, l’un dans la provoc blessée, pensant racheter sa souillure en la perpétrant, l’autre dans le transfert sur l’irrationnel et l’ufologie. L’identification est d’une certaine façon impossible, tant les personnages semblent brisés, mais c’est précisément cette inadéquation avec notre sens des valeurs, aussi libertaire soit-il, qui rend possible l’émergence de l’indignation : non pas une révolte de principe, mais la tristesse face à cette authentique incarnation de la brisure.
Greg Araki a toujours su jouer du décalage, le plus souvent au profit d’une provocation ostentatoire et délirante. On constate avec enthousiasme que ce regard clivé peut être mis au service de l’émotion. Généralement, le viol constitue l’apogée émotionnel après lequel surgit la vengeance (comme dans Delivrance, par exemple) ou vers lequel converge un travail de mémoire (comme dans le très oubliable Prince des Marées). Ici, le regard des adultes est inexistant, ce qui est à la fois la force du film dans sa tonalité et le gage de l’extrême fragilité des personnages. (On remarque d’ailleurs que « maman » est le premier mot de Neil après son « second viol », et que Brian s’en prend d’abord à son père, qui lui dit ne rien pouvoir faire pour lui.). Dans cette empathie avec eux, le réalisateur parvient à retranscrire leur langage, leur comportement, et nous rendre conscient face à leur singularité des dommages causés.
Le monde raisonné et stable n’existe pas : l’adulte criminel a tout faussé, détruisant toute possibilité de retour à la normale. C’est en cela que le dénouement est frappant : ce n’est pas une délivrance, ce n’est pas un accomplissement : c’est le face à face avec la vérité d’un monde sans Dieu, où l’adulte est un barbare.
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Jurassic World - 3/10

Messagepar Nulladies » Sam 03 Oct 2015, 05:45

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 19

Sur la table en acajou, une pile de livres remplace la traditionnelle corbeille de fruits.

- Bon, mes mollusques d’amour. Aujourd’hui, on réactive un serpent de mer vieux comme la peau des mains de Madonna : Jurassic Park. Je vous arrête tout de suite. Je vois bien vos petits yeux porcins énamourés à l’idée de réinjecter du pixel dans cette fructueuse machine à sous, mais avant de me dégobiller vos insanités habituelles, j’ai décidé de corser un peu les règles du brainstorming.
- Oh non putain chef pitié, par de nouveau l’ILC !?
- Rien de tout ça, rassure toi Bryan. Figurez-vous que j’ai passé une partie de mes vacances en France. Et que contrairement à vous, bovins décérébrés du bulbe, j’ai décidé de m’ouvrir un peu. J’ai lu. J’ai briefé l’air tu temps, genre. Je nous ai dégoté un nouveau consultant. Dites bonjour à André Manouchian.
- Bonjour.
- Voilà, on va droit à l’essentiel, je vous explique le concept. Ouais ma couille, on fonctionne par concepts, aujourd’hui. Donc : André a préparé une synthèse sur les implications philosophiques de la réactivation de Jurassic Park et va nous gratifier d’aphorismes que vous allez appliquer en éléments scénaristiques.
- …
- Bon, vous aurez remarqué que vous êtes en comité restreint, aujourd’hui. Pas de Rick, ni Nick, ni Click, ni Mick. Vous êtes la crème, mes fiottes, et c’est peu dire que je compte sur votre réactivité. C’est pas compliqué, les carpes iront pitcher le prochain Terminator. André vas-y, balance.
- Mais chef, j’ai une question. Pourquoi ?
- Par défi, Stanley. Ça m’excite. Et après on ira lire la presse française, je te jure que ça peut vraiment être bandant. André ?
- « Notre époque est l’ère du post. Post post-modernisme, cynisme et lucidité : plus la clarté est grande dans la supercherie, plus la croyance est possible. »
- Allez les gars on fuse, là ! Bon, André, c’est un peu du viol auriculaire, faut avouer. Cynisme et méta, les gars, vous me dites quoi ?
- Ah ok. Ben on compare le public du parc au public des salles.
- Ouais ; ils veulent toujours plus. Plus de dents, genre.
- Le « whaou effect ».
- Et on leur fout un DGM. Un Dinosaure géné…
- Oui, tout le monde avait compris, Bryan.
- On met un mec nostalgique qui représente le gentil Steven de 1992, avec tee-shirt et tout, qui dit que c’est pas bien d’en faire trop, que les sponsors sont partout, que merde quand même, le bonheur se contente de peu…
- …et on place Mercedes et Coca, on invente un dino qui pourrait prendre Godzilla en levrette sans taser, des gosses sur des triceratops genre mini poneys et un aqualezard tsunami style.
- Voilà. André, tu continues ? Evite les phrases, par contre.
- Ah, euh. La problématique avec la capacité à admirer : l’émotion à l’ère du numérique. Les générations nouvelles et celles qui ont vu le premier à sa sortie. Le vrai, la nature. Tout ça.
- Ouais, j’ai, chef : deux frères, un jeune émerveillé, l’âme d’enfant, et le grand, blasé, branché gonzesse qui décroche de son portable qu’à partir du moment où il devient un potentiel apéricube.
- Et aussi, le cynisme capitaliste des boss du parc contre ceux qui y croient. Genre SPD, voyez, société protect…
- …Ouais, tout le monde avait compris.
- On peut faire un homme qui murmurait à l’oreille de Vélociraptors, non ?
- Putain ouais. Genre il les dresse et tout.
- On a notre star, là. Je veux un vrai mec qui s’oppose aux cols blancs qui ne résonnent que par chiffres.
- Bungalow. Moto. Il attrape les moustiques à la main. Et il va visiter les amygdales de la patronne avec sa langue quand elle aura trucidé du ptérodactyle après avoir fait tomber le tailleur.
- Vous êtes chauds mes chatons, je kiffe. André, tu relances ?
- La dichotomie entre bonheur et divertissement. Violence et sacré. Soumission librement consentie et dérive des instincts tristement humains.
- C’est vrai, faut quand même foutre un peu les jetons, quoi. Remake de Predator, avec un DGM qui peut se camoufler, genre il a des gênes de méduse. On reprend ce qui marche : course avec les bagnoles, les rétroviseurs, la gueule qui passe à quelques centimètres du perso, tout ça. On peut aussi placer Les oiseaux d’Hitch, avec pluie de mutants sur les foules en plein mojito happy hour.
- ET EN MEME TEMPS, un boss indien qui veut qu’on soit heureux dans son Parc. Qui rappelle la petitesse humaine.
- ET EN MEME TEMPS, des expériences pour faire des soldats dino, des trucs de ouf, qui font dans les tranchées et tout…
- Calme-toi, Stan.
- Le tragique. Pensez au tragique : l’homme dépassé par sa propre création, un Frankenstein 2.0.
- Pas mal André. Placez moi la phrase “This is happening, with or without you”. Deux fois, au moins.
- Et de la famille, aussi, hein. Take care of kids, tout ça. Et un noir. Un français. En hommage.
- Une petite dernière, André ?
- “L’humour est la politesse du désespoir”.
- Ah ouais. Faites des vannes. Plein.
- Putain.
- Oui, vous pouvez l’affirmer, c’est dans l’air du temps : vous allez cartonner.
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Terminator Genisys - 2/10

Messagepar Nulladies » Dim 04 Oct 2015, 05:36

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Les arcanes du blockbuster, chapitre 20

Sur la table en acajou, la corbeille de fruits dans laquelle deux fruits flétris se teintent de nuances brunâtres. Sur la table, un post-it.
Sur le post-it : « Terminator. Schwarzy. L’équipe habituelle bosse sur le MCU. Démerdez-vous entre stagiaires. »

- Putain.
- On fait comment, Kevin ? Rick ?
- Bon, on les a tous vus entre deux cafés et photocopies, non ? On commence par retrouver l’esprit de la franchise.
- « I’ll be back », des mains mécaniques, Skynet, fin du monde…
- Camion qui débarque par la vitrine, arrivée à poil, la gueule écorchée avec du robot en dessous, des balles dans les yeux, des mains épées…
- Sarah Connor. Kyle Reese. John Connor. T800. T1000, des motos qui sautent des ponts.
- Et la musique aussi : tatata, tata.
- Bon ben voilà.
- C’était pas difficile, en fait.
- Donc c’est un remake ?
- Ah non, je crois pas.
- Ah. Merde.
- Bon, on change un peu. On rajoute.
- Ouais, c’est pas grave, avec le voyage dans le temps, on s’en contrebranle, on peut faire ce qu’on veut.
- On a qu’à mettre 4 Terminators en même temps.
- Par exemple.
- Et une Sarah Connor avec de plus gros seins.
- Aussi, oui.
- Et t’sais quoi, je me disais : genre ils reviennent en 84 avec Schwarzy en jeune. Contre le vieux.
- Pas mal. On se demandera lequel est le plus fake.
- On met aussi d’autres dates, hein. 1973.
- Et 2017.
- Et 2029.
- On mélange. Avec des alternate time line. C’est fun ça.
- Bon.
- Voili voilà.
- …
- Ah oui, faut rire aussi.
- De l’émotion tout ça.
- On n’a qu’à faire un Terminator vraiment gentil.
- Genre on l’appelle pops et tout. Et il essaie de sourire, même que ça marche pas trop et alors on rigole t’as vu.
- Et le méchant, un peu nouveau quand même, non ?
- Ben ouais. Liquide on a, solide aussi… Gazeux ?
- Bof.
- Magnétique ?
- Ah ouais. Avec des petites billes, ou des paillettes noires. Ça sera classe.
- Et un twist. Faut un twist putain, ils le disent à chaque fois.
- Ah.
- …
- Ben le gentil devient le méchant. John Connor rime avec Terminator.
- Ouais… c’est un peu daubé quand même.
- On n’a qu’à le mettre dès la bande annonce alors.
- Si tu veux.
- Autre chose ?
- Bah…
- Ok. Bon ben salut.
- Attend, ils disent un truc à chaque fois à la fin, non ?
- T’as raison. « Putain », je crois. Mais ça ils le disent tout le temps en fait.
- Si, c’est ça. « Putain, on va cartonner ».
- LOL.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Mark Chopper » Dim 04 Oct 2015, 08:19

- Et le méchant, un peu nouveau quand même, non ?
- Ben ouais. Liquide on a, solide aussi… Gazeux ?


:eheh:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Tarankita » Dim 04 Oct 2015, 12:14

Mark Chopper a écrit:
- Et le méchant, un peu nouveau quand même, non ?
- Ben ouais. Liquide on a, solide aussi… Gazeux ?


:eheh:


+1

:bluespit:
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À la poursuite de demain - 4,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 05 Oct 2015, 05:47

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Sage against the machine

Etonnant, c’est le mot qui vient sans cesse à l’esprit au visionnage de ce film. Qu’on puisse avoir tant d’ambition, tant de moyens, et qu’il en résulte cette petite chose inégale et, finalement, bien fade.
Brad Bird est un cinéaste qu’on peut vouloir suivre, du jubilatoire Indestructibles au plutôt réussi opus 4 de Mission : Impossible, il sait conjuguer l’action à un sens visuel certain, avec une efficacité qu’on retrouve parsemée ici et là dans Tomorrowland.
On saura aussi gré au réalisateur et à Disney d’avoir le courage de proposer un nouvel univers dans le sentier balisé et aseptisé des franchises à répétition. Evidemment, l’autoréférence à ses parcs d’attraction ne brille pas par son originalité, mais pourquoi pas… Le principal atout de son film est d’avoir à faire l’exposition d’une terra incognita de la SF, même si les influences sont nombreuses dans cette sorte de rétrofuturisme plutôt sympathique. Si l’on égrène quelques séquences, comme celle du décollage par extraction de la tour Eiffel, des diverses méthodes de blocage de la maison de Clooney face à l’intrusion ou de la présentation en plans séquences d’une belle fluidité de Tomorrowland par le biais d’un métro aérien, les qualités du film sont nombreuses, voire sa propension à susciter l’admiration ou l’émerveillement dont il parle tant.
Dès lors, d’où vient le problème ? Précisément de ce qui faisait a priori sa force : la découverte d’un nouvel univers. Les gars, ils sont tellement fiers de leur dimension parallèles qu’ils n’en finissent pas de différer le fin mot de l’histoire. Ce qui nous fait bien 1h40 de private joke entre des initiés et une ado hyper intelligente qui ne cesse de poser des questions, (tu l’as saisie, ma mise en abyme overlourde du spectateur ?) auxquelles on répond par des mystères plus obscurs encore. Même la droïde fait semblant de se disjoncter pour ne pas répondre. Le résultat ne se fait pas attendre, les gamins ont disjoncté de concert (et le film lui-même, d’ailleurs, qui a sauté plusieurs fois, je vous dis, c’est un complot).
La démesure visuelle ne parvient pas à suffire en matière d’attention : il faut une substance, et ce n’est pas les micro idées, comme cette boule qui fige le temps, ou cette sous intrigue en référence à A.I qui y changeront grand-chose. Tomorrowland s’effondre sous son propre poids sans propos, noyé qui plus est dans un montage particulièrement confus pour le jeune public.
Reste le sentiment d’un certain gâchis, d’autant plus regrettable qu’on se serait bien vu avoir une tendresse pour cette fable plastiquement séduisante mais inepte.
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De l'autre côté du mur - 7/10

Messagepar Nulladies » Mer 07 Oct 2015, 05:27

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Another brick off the wall.

Comme tout film historique, De l’autre côté du mur doit commencer par opérer un choix : sous quel angle restituer la période qui l’intéresser. Pour évoquer le Berlin de 1975 et le passage d’une mère accompagnée de son enfant de la RDA à l’Ouest, c’est sur les individus que décide de se pencher Christian Schwochow. Rivée à son personnage, la caméra fait dans un premier temps des embardées assez vaines, soulignant avec un peu trop de zèle son désir de s’inscrire dans un regard naturaliste, avant de s’apaiser pour laisser la possibilité à un véritable récit d’émerger.
Son intelligence réside dans la capacité qu’a le réalisateur à concilier fond et forme : dans ce climat paranoïaque de la guerre froide, les exilés de l’Est sont avant tout des espions potentiels, et leur attachement à ce qui fut leur patrie est toujours suspecte. Saturé d’ellipses et de non-dits, le film progresse en nous perdant. Les personnages secondaires comme la principale, subtilement incarnée par Jördis Triebel, sont avant tout opaques : attachés à ce désir d’intégration, déchirés ou mystérieux, on ne sait pendant longtemps déterminer s’ils sont les victimes d’un système ou les pions consentant d’une nébuleuse illisible. C’est là tout le charme vénéneux du film, dans lequel la survie passe par l’exploitation de l’autre ou la défiance, et où le surgissement d’un attachement, d’une complicité semble faire vaciller les individus pour en révéler brièvement les dernières traces d’une humanité abimée par l’Histoire.
Car s’il se pose comme un possible thriller d’espionnage, ménageant la possibilité de twists, De l’autre côté du mur en joue habilement pour désactiver ces pistes au profit d’un regard d’une grande empathie. Ce qui compte, c’est le deuil et la vie, le passé qui ne passe pas, et l’avenir qu’on aimerait voir serein. Le regard d’un enfant et la confiance, après les années de Stasi, qu’on peut éventuellement renouveler. En ce sens, passer de l’autre côté du mur ne se fait pas sans encombre, et c’est cette délivrance, ce délestage des briques traumatiques que restitue ce film délicat et sensible.
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