Sous les Drapeaux, l'Enfer - Kinji Fukasaku (1972)
Les années 70 furent la décennie magique de Kinji Fukasaku, celles où il aligna ses plus grandes œuvres de façon quasi-industrielle (2 à 4 films par an quand même) essentiellement dans le genre yakuza-eiga alors en plein boom. Pourtant, à côté de ça il réalisera un film en particulier qui sortira de cette mouvance, tout en gardant de nombreux traits avec ses précédents faits d'armes : le fabuleux Under The Flag of The Rising Sun en 1972, qui narre le combat d'une veuve qui cherche à faire la lumière sur le décès de son mari mort au combat et le réhabiliter aux yeux d'une institution qui l'accuse sans preuves d'être un déserteur. Rien qu'avec un pitch pareil qui remet véritablement en question les rouages de la société japonaise pas encore remise de l'effet Hiroshima et de la capitulation (détail important, qu'encore beaucoup de japonais ne veulent pas admettre), Fukasaku met les mains dans la merde, la retourne et en ressort quelque chose de honteux, d'enfoui depuis trop longtemps.
On savait qu'il était franc-tireur dans ses films de yakuza, mais se servait surtout du genre comme d'une allégorie, ce n’était d'ailleurs pas un hasard si il se réfère régulièrement a la Seconde Guerre Mondiale dans ses polars, lui même fut marqué directement par ce conflit durant son adolescence. Avec Under The Flag of The Rising Sun, il a l'occasion d'adopter une approche plus franche, à travers la peau d'une femme qui veut juste avoir une réponse à ses question mais qui va finir par révéler malgré elle, les immondices d'une guerre qui fait encore ses ravages : en employant une structure à la Rashomon, Fukasaku confronte les différences de point de vue mais aussi la lâcheté collective du Japon qui ne semble plus vouloir endosser ses responsabilités (on est dans une époque anti-Hara Kiri, si je puis dire), préférant garder une façade d'usage et n'hésitant pas à mentir pour se dédouaner. A vrai dire, le film dépasse allègrement son statut de film "anti-guerre" et est avant tout un authentique brûlot politique, assez proche d'un JFK dans sa fabrication et ses intentions, accouché dans un contexte politique sensible, osant dire tout haut ce que personne ne voulait plus entendre. Mais il sait aussi garder une vraie dimension humaniste en se focalisant sur les petites gens, les vraies victimes collatérales de la guerre, qui aspirent à la paix et au bonheur mais qui n’oublieraient pour rien au monde le prix de la vie (le personnage du vétéran vivant dans la décharge en cela, est superbe, nous communiquant tout d'abord un sentiment de lâcheté avant d'apercevoir une lueur d’optimisme dans son regard, quand bien même il a du se rabaisser à faire des choses horribles pour s'en sortir), pourtant Fukasaku n'est pas dupe et l'homme seul ne peut rien contre l'immense barrage qu'est l'Institution. Il faut aussi souligner l'extrême parcimonie avec laquelle sont employés ses effets de style habituels (plans penchés, arrêts sur image, voix off), certes toujours aussi impactants mais qui apparaissent réellement quand le récit exige.
Un film fort qui reste longtemps en tête par ces petits moments qui respirent l'humanité (le long passage où Tetsuro Tamba savoure son dernier repas, son expression stoïque, presque rassurée m'a filé une petite larmichette), sa violence abrupte, sans concession (les hommes meurent dans la souffrance, la saleté et l'ignorance) et son propos dont la virulence cherche encore des émules viables.
9/10