S'il y a bien une chose qui frappe lorsque l'on regarde un film de Michael Mann, c'est sa manière minutieuse et jusqu'au boutiste d'aborder un sujet. S'éloignant des carcans auxquels il nous a habitué, 3 de ses 5 précédents longs-métrages étaient des polars (et quels polars!), il s’attelle avec Révélations à une enquête plus qu'exhaustive sur le lobbying exercé par l'industrie du tabac. En résulte un film-enquête passionnant d'un bout à l'autre de ses 150 minutes de bobine. Non pas parce qu'il apporte une lumière nouvelle sur le sujet, mais par sa propension à garder ses personnages au cœur du récit. Encore une fois, la direction d'acteurs de Mann et la qualité d'écriture dont bénéficient tous les interprètes du film, élèvent l'ensemble vers d'inestimables cimes de plaisir cinéphile. Et dire qu'on cantonne volontiers Michael Mann dans une case d'expérimentaliste de l'image en niant un peu trop ses autres talents....
Pour la seconde fois d'affilée (après Heat), il parvient notamment à canaliser la fougue qui a trop souvent rendu Al Pacino cabotin. Comme une figure de proue incontournable du cinéma de Mann, il interprète un homme pétri de valeurs. Producteur du plus grand show d'information de la télé américaine, Lowell Bergman est un homme de principes qui ne balance jamais ses sources. Il est simplement un passionné d'investigation qui porte sur ses épaules la responsabilité de relayer des informations qu'il juge indispensable de partager avec l'opinion publique. Routier de l'info-entertainment, Pacino est impérial, clairement son dernier (très) grand rôle à mes yeux. Et il fallait bien un Russel Crowe au diapason, tout en retenue et rongé intérieurement par les secrets bien trop lourds qu'il porte pour répondre à la qualité de jeu du grand Al. Vieilli, affublé d'une dizaine de kilos supplémentaires, il est un cadre important chez Brown & Williamson mais un parfait "Monsieur tout le monde" dans la vie privée. Tiraillé entre sa conscience et la clause de confidentialité qui le lie à son ex-employeur, ses tourments sont profonds, touchants et parfaitement retranscrits à l'écran. Par sa seule mise en scène, Mann transforme des non-dits en scènes évocatrices du mal dissident qui ronge l'esprit de Jeffrey Wigand. En atteste la scène du golf, qui instaure un début de sentiment de paranoïa. Ou encore celle, magnifique, qui suit ses aveux à la cour du Mississippi. Seul face à la mer, il prend brutalement la mesure de ce qu'il vient de déclencher et de l'impact terrible que cela va avoir sur sa vie familiale. Pas besoin de mots chez Mann, de somptueuses images suffisent.
Les détracteurs du film lui reprochent fréquemment ne rien apporter de neuf sur le sujet du lobbying. Ils n'ont pas tort. Mais est-ce là son seul intérêt? Pas du tout. Mann prend le temps de s'affranchir de son dossier pour capturer des moments de grâce dont lui seul a le secret. Le regard que la société porte sur Jeffrey Wigand, ses choix de vie douloureux, le tout sans tomber dans le pathos, sont autant de preuves permettant d'affirmer que Révélations, c'est du très grand cinéma. Marinant dans une ambiance et un rythme de thriller, c'est un grand film-enquête comme on en voit un par décennie. Comme dans Heat, toutes les lignes du casting sont soudées et impliquées, et c'est un plaisir de retrouver des acteurs comme Christopher Plummer, Philipp Baker hall, Rip Torn, Bruce McGill ou Colm Feore, des seconds couteaux dignes d'un premier choix.
Niveau réal, inutile de préciser que comme à l'accoutumée, Mann rend une copie parfaite. Il entasse 90% de la concurrence avec une facilité qui frise l'insolence. Toujours entouré du génial Dante Spinotti à la photo, on sent néanmoins les prémices de plus en plus prégnantes de l'évolution de son cinéma vers une nouvelle ère, celle de l'an 2000 et du numérique. Cadrant parfois ses personnages comme dans un western de Leone, armé d'un scope encore une fois à tomber, il décuple l'émotion véhiculée par ses personnages en la noyant dans l’immensité et l'indifférence du monde. Et que dire de la B.O de Lisa Gerrard et Pieter Bourke (et le magnifique Iguazu de Gustavo Santaolalla
), qui décuple l'impact des images. On peut parler de génie encore une fois à l'image de cette conclusion qui a tout pour être décriée en préférant rester évasive. Dans Révélations, le plus important n'est pas la finalité, mais le cheminement. Un peu comme dans le cinéma de Mann en quelque sorte. Peu importe ce que l'on en retient, la seule vérité c'est le plaisir ressenti de la première à la dernière minute. Lowell Bergman a besoin de héros comme Jeffrey Wigand. Le cinéma a besoin de héros comme Michael Mann. Masterpiece. Encore un.