◈ BRAM STOKER'S DRACULA (1992)De Francis Ford Coppola avec Gary Oldman, Winona Ryder, Keanu Reeves.
Histoire: En 1492, le prince Vlad Dracul, revenant de combattre les armées turques, trouve sa fiancée suicidée. Fou de douleur, il défie Dieu, et devient le comte Dracula, vampire de son état. Quatre cents ans plus tard, désireux de quitter la Transylvanie pour s'établir en Angleterre, il fait appel à Jonathan Harker, clerc de notaire et fiancé de la jolie Mina Murray. La jeune fille est le sosie d'Elisabeta, l'amour ancestral du comte...
Deux ans après la fin de la trilogie du Parrain qui aura érigé, au début des années 70, Francis Ford Coppola en un des maitres du 7ème art, Dracula servira de marqueur dans la carrière du maitre puisqu’il représentera son dernier film à succès et le poussera, après plusieurs échecs consécutifs, dont le fameux Jack en 1996, à se retrancher dans le cinéma indépendant voir à se marginaliser totalement du monde hollywoodien au profit de son autre passion : l’œnologie (et plus généralement la restauration).
Le lien entre le dernier opus illustrant les Corleone et la version érotique et baroque du roman Dracula de Bram Stoker commence avec Winona Ryder. L’actrice, engagée sur le Parrain III pour jouer Mary Corleone avait lâché le réalisateur au moment du tournage pour cause de « grosse fatigue » ce qui le força à engager sa propre fille, Sofia, qui, si elle a dû essuyer quelques critiques pour ce rôle, ne l’a pas empêchée d’avoir la carrière de réalisatrice que l’on connait. Ryder, partie partager l’affiche avec Cher sur l’oublié Mermaids, eut le nez fin puisque pour son rôle, elle parvient tout de même à décrocher une nomination aux Golden Globes. Gonflée sans doute par la confiance, c’est elle qui part proposer directement le script sulfureux de James V. Hart à Coppola qu’elle croit fâché après elle à cause du Mary Corleonegate. Le réalisateur accepte de s’entretenir avec l’actrice pour enterrer la hache et se voit totalement envouté par le charme de cette adaptation fidèle du classique de la littérature horrifique.
Prenant le projet à bras le corps, Coppola impose néanmoins quelques impératifs. Le premier étant de coller au plus près du matériau d’origine et donc de rester visuellement proche de l’esprit romantique et baroque du livre. Pour cela il va donner une grande importance aux décors et aux costumes, soignant chaque plan comme une œuvre d’art. Le second impératif négocié au moment du deal avec Hart et Ryder était de ne pas emprunter les techniques modernes des CGI et de privilégier le travail artisanal, toujours dans ce but de coller au plus près des racines du livre et donc aux traditions ancestrales du cinéma. Sa vision, il fallut la défendre contre vents et marées et fidèle à sa réputation, Coppola ne lâcha pas ses principes quitte à couper quelques têtes. C’est pourquoi il virera son équipe technique engagée sur les effets spéciaux, qui avait prétendue impossible la mission qui leur était confiée. Et comme souvent c’est vers sa propre famille que le réalisateur se tourna et engagea son jeune fils Roman pour superviser les FX. Le résultat, s’il n’est pas parfait, colle parfaitement avec les attentes du père. L’utilisation de maquettes et de plans peints à la main, posés en fond comme pouvaient le faire encore beaucoup de metteurs en scène dans les années 80, ajoute au charme du film en lui donnant un aspect féérique et irréel.
Avec l’aide du directeur photo Michael Ballhaus, cinématographe attitré de Fassbinder dans les années 70, Coppola va découper ses plans de manière fluide et rythmée. L’utilisation symptomatique de la caméra portée entre les scènes pour illustrer l’omniprésence de Dracula dans les esprits et les alentours de chaque personnage apporte plus que du mouvement à l’ensemble, elle permet au spectateur de visualiser le glissement du mal dans son propre esprit. Mêlée à un montage sonore ultra-travaillé laissant une place continue aux gémissements et aux voix suaves ; ainsi qu’à un jeu subtil en profondeur de champ sur les ombres maléfiques des vampires, cette utilisation rend le film suintant de plaisir, dégoulinant de sensualité et de mystère. Les scènes de sexe en sont les parfaits exemples, notamment lorsque le fiancé de Mina, joué par Keanu Reeves, se fait charmer puis accaparer par trois vampiresses (dont une Monica Bellucci plus que sensuelle). Les chuchotements laissent la place à une apparition des corps très chorégraphiées et subtilement montée pour finalement être rompue par des cris et une autre apparition du comte en accélérée et aérienne.
La mise en scène, très variée, ultra travaillée, ne laisse que très peu de place aux temps morts et si le film peut s’adoucir à son milieu au moment de la rencontre entre le comte et la réincarnation de sa défunte épouse jouée par Winona Ryder, on ne peut s’ennuyer pendant deux heures tellement le film transpire le désir et la tragédie à venir et ce jusqu’à l’épilogue. De la tragédie romantique, l’on passe à l’aventure et à la chasse avec l’arrivée du professeur Van Helsing campé par un Anthony Hopkins impeccable. Si le personnage donne un second souffle au film, il représente aussi la capacité pour Coppola à changer de registre très vite. Si on peut toutefois le regretter (car on se rapprochait plus d’un film de traque au monstre classique comme La Momie) il est impossible de nier l’efficacité des combats entre la bête et les chasseurs. Là encore, sans devoir recourir aux CGI, Coppola fabrique un monstre aux multiples facettes, toujours subtilement façonné et impressionnant de terreur.
Le point faible quant à lui est assez évident. Si n’en était qu’aux débuts de sa carrière (bien qu’il ait déjà joué ses rôles dans Point Break et My Own Private Idaho) Keanu Reeves parait à côté de la plaque, cantonné à un seul registre trop théâtral et d’une fadeur sans nom. Contraste édifiant avec Sadie Frost, aussi novice que Reeves mais complètement investie dans son personnage de Lucy, une jeune nympho un peu sotte qui va passer du côté obscur de la force. Coachée pour ses scènes de sexe avec Ryder et –a-t-elle affirmée plus tard en interviews- attisée par Gary Oldman en off qui lui glissait –selon les consignes du réalisateur- des cochonneries avec une voix suave, Frost rayonne à l’écran et porte le même désir, la même passion qui émane du film.
Pour sa dernière œuvre majeure, Coppola livre donc un film romantique et stylé, bourré de sensualité, très travaillé et complètement en adéquation formelle avec ce que dégagent à la fois le script et les acteurs, presque tous –Hopkins et Oldman en tête, Reeves mis à part- impliqués et rayonnants. En atteignant son but initial (coller au matériau d’origine de Stocker), le film se distingue des nombreuses adaptations du comte, en allant au-delà la simple interprétation physique du vampire à cape (Lugosi et Lee prennent un coup de vieux) pour faire glisser l’horreur sous toutes ses formes.
8/10