J. Edgar
Clint Eastwood, 2011
Habitué à décrypter les mythes américains et à analyser leur impact dans l’histoire et dans la société actuelle, Clint semblait bien indiqué pour s’attaquer à la personnalité de J. Edgar Hoover, l’un des Américains les plus puissants et les plus controversés du XXe siècle. Le film n’a pas reçu un accueil favorable ; pourtant, il est bien plus subtil et intelligent qu’il n’y parait, ne s’attaquant pas de front à Hoover et ne le diabolisant jamais ouvertement, restant au contraire plutôt neutre en apparence. Mais c’est justement la grande force du film, qui tente au mieux de jouer la carte de l’objectivité et entraîne le spectateur à se poser lui-même les questions face à ce qu’il voit – Eastwood, ce n’est pas Oliver Stone, il ne fallait pas s’attendre à un film polémique au parti pris revendiqué.
Durant plus de deux heures, on suit le destin de Hoover (campé par un excellent DiCaprio) à travers une chronologie complètement éclatée où l’on alterne de multiples moments de vie (privée et publique), pour la plupart narrés par Hoover lui-même à des agents du FBI chargés d’écrire son histoire. Il faut un peu s’accrocher car les repères temporels ne sont pas toujours très clairs, mais l’idée est audacieuse : en refusant la linéarité, on choisit de mettre en perspective plusieurs faits et plusieurs époques, démontrant ainsi à chaque fois ce qu’Hoover fait du pouvoir qu’il gagne et de ce que cela implique, ainsi que l’influence qu’ont certains événements sur sa vie, sa carrière, mais également sur le pays tout entier. Le montage est d’ailleurs excellent : on passe d’une scène où Hoover constitue son premier dossier « secret » à une scène où il fait chanter Robert Kennedy ; on change d’époque mais la paranoïa anti-communiste se répercute avec la même force, on observe les actions des G-Men à travers le temps…
En fait, ça me rappelle un peu l’approche de
Mémoires de nos pères (bien sous-estimé également), c’est assez dense et il y a le risque de passer à côté de pas mal de choses. Mais si l’ensemble peut parfois sembler anecdotique, le commentaire, le « liant » me semble clair : plus qu’un simple biopic sur Hoover, c’est une analyse de l’évolution de société qu’il a incarné, à savoir le développement d’outils gouvernementaux pour renforcer la politique sécuritaire et de surveillance forcenée généralisée. Le script et la mise en scène ne représentent jamais Hoover comme un vrai salaud, se contentant de souligner son côté parano, mais on assiste pourtant à des scènes scandaleuses de chantages, de manipulations en tous genres (l’expulsion du pays d’une citoyenne américaine dont on fait une étrangère car elle est militante politique de gauche), un procès et une condamnation à mort d’un supposé assassin dont la culpabilité s’impose grâce aux nouvelles méthodes scientifiques du FBI, etc…
Eastwood semble dès lors vouloir nous confronter à cette réalité du « nouveau » système judiciaire, et nous faire nous demander « est-ce que ça valait le coup ? » - en effet, peu importe (ou presque) qu’Hoover traine des énormes casseroles derrière lui, ce qui compte, c’est que ses idées et ses moyens se sont bel et bien imposés dans notre société. C’est pourquoi on s’attarde tant sur l’affaire du kidnapping du bébé de Charles Lindbergh, moins sulfureuse que les manipulations politiques opérées sur des présidents des USA (traitées habilement dans le script, beaucoup aimé les récurrences avec les visites au bureau ovale) ou ses liens avec la mafia, mais affaire fondatrice et déterminante. En effet, c’est elle qui a fait la gloire du FBI, de Hoover, et surtout, de ses méthodes. Il faut d’ailleurs voir cette scène où la « Loi Lindbergh » qui renforce les pouvoirs du FBI (et donc la prédominance de l’Etat Sécuritaire) est votée avec enthousiasme…
Cependant, Eastwood n’oublie pas non plus le personnage de Hoover, traitant de ses obsessions, de sa marche vers le pouvoir, de son intelligence hors du commun, de sa vie intime – j’ai été presque étonné que son homosexualité (supposée) soit traitée aussi ouvertement et d’ailleurs très subtilement ; ses rapports avec Clyde Tolson sont surprenants, tendus, dramatiques. Et sans être vraiment « touché » par Hoover, on est dérangé et intrigué par ses penchants refoulés, tout ce qu’il cache pour l’amour d’une mère dure et oppressante. Le film est d’ailleurs aussi très fort dans son commentaire sur les rapports entre mensonge et réalité, fantasme et vérité ; à la fin, on découvre que plusieurs des scènes vues dans le film sont de purs mensonges, en fait toutes des scènes narrées par Hoover pour construire sa légende. C’est clairement le portrait d’un homme obsédé par sa propre image (son bureau avec sa chaise surélevée…) et son pouvoir qu’il refuse de voir ternis ou compromis.
La reconstitution d’époque est très bonne, grâce notamment à la splendide photographie de Tom Stern. Les maquillages ont été beaucoup décriés, je le trouve plutôt réussis pour DiCaprio et Naomi Watts, beaucoup moins pour Armie Hammer qui a l’air d’un fantôme… Pour ce qui est de la musique, c’est plutôt pas mal, mais c’est assez vu et revu, Eastwood et ses petites notes au piano quoi…
2h17 qui passent très vite, un panorama assez fascinant et sans temps mort, un film très riche qui gagne à être revu.
8,5/10