Il est important avant de parler des
Loups, d'expliquer que le film de yakuza dans l'image du spectateur occidental se cantonne essentiellement a une approche contemporaine (le
jitsuroku), or le genre possède également sa branche féodale nommée
ninkyo, qui est un cousin proche du chambara, les kimonos, les sabres et la noblesse d'esprit remplacent les costards, les flingues et la fortune personnelle. Une vision romancée du crime organisé qui fit les beaux jours du cinéma japonais dans les 60's mais qui fut soudainement ringardisée par les polars révolutionnaires de Kinji Fukasaku dans leur façon d'aller a contre-courant des mythes, de cette idée reçue qui voudrait qu'il existe des bons et des mauvais yakuzas. Or la Toho continue d'y croire et offre la possibilité a Hideo Gosha de livrer sa vision, gros moyens et liberté artistique a l'appui (ce qui se ressent fortement sur la narration qui se libère des codes usuels) pour concurrencer officieusement Fukasaku, bien qu'on l'appelle pour son succès commercial avec
Goyokin, sa présence est également motivée par un point de détail interessant propre a sa vie privée sulfureuse qui lui causera bien des problèmes dans sa carrière pendant les 70's : celui de ses liens étroits avec les yakuzas. Bien qu'il n'ait pas été confirmé qu'il fut membre d'un clan, Gosha n'a jamais caché sa sympathie naturelle pour ce milieu et le fait qu'il croie sincèrement a une vertu "chevaleresque" de sa part est tout a fait pertinent vu son parcours cinématographique.
En effet,
Les Loups a bien des égards peut s'apparenter au troisième volet d'une trilogie officieuse entamée avec
Goyokin et poursuivie par
Hitokiri qui parlent tous a leur manière de la fin d'une époque, chaque film reprenant la conclusion du précédent comme base de départ pour l'étirer sur la durée d'un film entier et transformer son propos (les samouraïs qui se résignent a perdre leur honneur (
Goyokin), finissent par accepter de jouer le jeu d'un système pourri (
Hitokiri) et sont voués a disparaitre car ils sont des reliques du passé n'étant plus en phase avec leur époque (
Les Loups)), le choix du ninkyo est d'un point de vue chronologique le plus évident pour fermer la marche car il est celui qui permet d'étaler a l'écran les derniers élans véritables de féodalité affichée de la société japonaise (en gros jusqu'au début des années 1930), pour Hideo Gosha, le yakuza n'a rien du criminel sans foi ni loi mais est le dernier porte-étendard des valeurs chevaleresques. Vu comme ça, il était évident que
Les Loups avait toutes les cartes en main pour être une réussite, mais comme je le disais plus haut, Gosha a eu une grande liberté artistique et vu son ambition de plus en plus affichée de se défaire du cinéma d'action qui a fait sa gloire, il a décidé de tirer a fond sur la portée mélancolique, voire métaphysique au point de tomber dans la répétition qui vire à la parodie de cinéma d'auteur chiant : après une excellente intro furieuse qui fait office de traquenard, le film bascule dans le contemplatif absolu a base de virées sur la plage où Tatsuya Nakadai marche pensivement avec son regard de chien battu (une ou deux fois, ça va mais quand ça devient une rengaine....) et de plans séquences interminables (je crois que j'ai trouvé un concurrent de taille a la scène de cul d'
Inherent Vice), le tout emballé avec une économie de dialogues qui pue trop le maniérisme pour être honnête. Ceci dit,
Les Loups se libère progressivement de ses mauvais tics au bout d'une quarantaine de minutes et revient a l'essentiel, la peinture d'un univers a la dérive avec deux générations de yakuzas qui ne partagent plus les mêmes idéaux, Gosha traite ça avec le même panache que
Goyokin, oscillant sans cesse entre réalisme et surréalisme avec des idées de mise en scène que je trouve épatantes notamment sur tout ce qui touche le couple de tueuses qui met en avant une spécificité du style Gosha, son usage malin du son, autrefois amplifié pendant l'action dans ses anciens films est ici mis en sourdine dès leur apparition a l'écran, ce qui donne un aspect quasi-lynchien qui n'est pas déplaisant (la longue scène de meurtre dans le cimetière est énorme en termes d'impact). Malgré ses qualités plastiques indéniables, c'est la première fois que je découvre le film et j'avoue sans mal avoir été complètement désarçonné par cette looooonnnngue mise en bouche inhabituelle pour Gosha, dès lors j'ai perdu le fil entre les différentes querelles de clans, j'ai eu du mal a comprendre qui était en guerre avec qui, j'ai vu des acteurs mourir puis revenir a cause d'un usage mal choisi d'une narration éclatée (là encore je trouve que Gosha en a fait qu'a sa tête), ceci dit en écoutant attentivement la plupart des suppléments et en méditant sur le film avec recul, je saisis un peu mieux les tenants et aboutissants, chose qui me motive pour une nouvelle révision ce qui est plutôt bon signe. Mais quand même venant de l'homme qui avait réussi a condenser autant de personnages et de quêtes personnelles sur un laps de temps moindre dans
Le Sabre de la Bête, la pilule passe difficilement.
En gros,
les Loups est symptomatique du Gosha des 70's, un artisan-cinéaste qui commence a être de plus en plus ostracisé dans un système en plein remous, qui fait son petit bonhomme de chemin sans vraiment se soucier de ce qu'il se passe autour de lui si l'on excepte la parenthèse
Quartier Violent, j'irais plus loin en disant qu'il est le test parfait pour jauger qui sont les fans véritables de son travail, ceux qui n'ont pas éteint leur téléviseur après les 40 premières minutes sont de vrais warriors.
6/10