[Nulladies] Mes critiques en 2015

Modérateur: Dunandan

Chambre avec vue - 7/10

Messagepar Nulladies » Jeu 23 Avr 2015, 06:02

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Engoncés des portes ouvertes

La rigidité britannique s’est paradoxalement toujours bien prêtée aux saveurs de la comédie. James Ivory grâce au talent littéraire de Forster qui deviendra sa principale source d’inspiration, nous livre une partition délicieuse sur les affres sentimentales de la haute société.
Soit un milieu guindé, anglais jusqu’à la petite cuillère, où cohabitent les générations, entre perpétuation du code et fulgurance sentimentales venues tambouriner à ses portes.
De Florence à la campagne anglaise, tout n’est que jeu. Avec les conventions, avec l’autre, et c’est bien le masque qui donne tout son piquant aux tumultes étouffés des passions. Ironie, mensonge, mesquineries, médisance, tous se défoulent sans que rien ne dépasse, et surgissent de temps à autre baisers fougueux, abbé nu dans les mares forestières, marche exaltée sous pluie ou rupture fracassante. Ces petites récompenses ont d’autant plus de prix qu’elles sont cathartiques et soulagent autant le spectateur que les personnages engoncés dans une société mortifère.
Portée par des comédiens aussi malicieux que doués de tact, la comédie se déguste comme un thé : elle ne procurera certes pas l’ivresse, mais réchauffe et sait déployer des arômes singuliers qui, les soirs d’hiver, caressent le palais avec douceur.
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Tueurs (Les) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 23 Avr 2015, 06:03

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Fight hawks

The killers suinte la classe absolue dès ses premières secondes : c’est un carrefour nocturne qu’on croirait sorti d’une toile de Hopper, un diner dans lequel surgissent deux larrons qui vont, avec une faconde unique, entamer la conversation cynique et brutale conduisant à l’exécution de leur contrat. Travail sur le double espace entre cuisine et comptoir, caméra au niveau du zinc, répliques au cordeau, tension croissante, cette séquence est à faire entrer dans l’anthologie des ouvertures du film noir.
A l’autre bout du spectre, la cible attend passivement sur son lit qu’on vienne le cueillir, et c’est un simple rai de lumière sous sa porte qui nous annonce l’inéluctable.
Rideau.
Contrairement au développement qu’en fera Don Siegel deux décennies plus tard, c’est du côté des good guys (un assureur & un flic) que se met en place la remontée vers la vérité. Constituée de flashbacks remontant progressivement le temps, celle-ci s’acharne à faire surgir l’histoire d’un échec, celui du colosse fragile Burt Lancaster, qui encaisse pour les autres et se démène dans des intrigues qui ne sont pas les siennes.
La très belle scène de coup de foudre pour Ava Gardner, qui n’apparait qu’à la 36ème minute, en dit long sur son rôle : dans une oblique alignant les trois personnages, Burt délaisse la blonde du fond pour la brune qui chante au premier plan, subjugué, mais déjà entre deux, et emprisonné dans un rôle de second couteau.
Le magnétisme de la femme fatale est ici rendu par un traitement aux antipodes de la version suivante. Vénéneuse, Ava Gardner brille par une présence elliptique, et alors que tout le récit tourne autour d’elle, ses apparitions sont ménagées avec soin, de dos à une table, dans un hors-champ inattendu au cours d’une réunion de gangsters… En contrepoint de la remontée vers la descente aux enfers de Lancaster, un indice ironique se fait par le parcours du flic, son ami d’enfance ayant construit avec la femme qu’il a délaissée un modeste et authentique bonheur.
Si le recours systématique au témoignage pour le flashback n’est pas toujours de la même pertinence (notamment la confession délirante sur le lit d’hôpital d’un ancien complice, un peu trop téléphonée), le film conduit vers une escalade des confessions, dont le très beau duel avec Dum-dum où les récits se complètent lorsque le flingue change de main.
L’une des dernières séquences, dans le restaurant, boucle admirablement le récit : de l’intime tendu à la foule, du diner à la grande salle, elle épanche la fluidité d’un superbe mouvement de caméra qui concentre dans son travelling quatre personnages disséminés dans la cohue venus régler leurs comptes à coup de flingues.
The Killers ne se contente pas d’instituer les codes du film noir : par son sens du portrait, par la malice de sa narration, il se pose comme un film incontournable.
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Hiroshima mon amour - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 25 Avr 2015, 06:34

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Fission, fusion, émotion.

C’est dans les allées-venues que se loge la poésie d’Hiroshima mon amour. Celle des amants en fusion, dans ce majestueux plan d’ouverture où les corps en sueur se couvrent d’une cendre brillante qui annonce la première partie du titre. Celle des images d’une ville suppliciée, d’une architecture du désastre, d’un peuple mutilé, en contrepoint d’une chambre dans laquelle on tarde à voir le visage du couple.

« De bien regarder, je crois que ça s’apprend »

Resnais semble donc prolonger un regard sur l’Histoire, initié dans le magistral Nuit et Brouillard, en y intégrant, par le biais de la littérature et le texte de Marguerite Duras, la destinée individuelle amoureuse.
Par elle, c’est le travail du temps qui fait son œuvre : Hiroshima a déjà été détruite, la guerre a fait son œuvre, et de la confession intime va surgir un écho amoureux, celui d’une liaison coupable avec un Allemand dans un Nevers occupé. Comme dans L’année dernière à Marienbad, la passion n’est jamais rendue aussi explicite en sa confusion que dans son rapport au temps. A la brûlure qui a rendu « le métal vulnérable comme la chair » sur la cité japonaise répond le froid des caves de France. A la tonte de la collabo, la liberté de mouvement de la femme épanouie, Emmanuelle Riva étincelante de beauté et de douleur.
A croire que la guerre et le chaos de l’Histoire exacerbent les passions intimes : l’occupation allemande, le statut de soldat du Japonais qui l’a sauvé du cataclysme rendent possible l’amour. Alors que le dialogue se construit, la négation systématique des débuts (« Tu n’as rien vu à Hiroshima ») s’épaissit d’affirmations : la femme se souvient au présent, fusionne les amants dans un tutoiement général qui universalise à la fois l’amour et la douleur de la perte : celle, révolue, de la froide France oubliée et celle, à venir, de cette Asie brûlante.

Certes, Resnais n’échappe pas à Duras et sa littérarité au forceps. La parole est incantatoire, l’artificialité guette, et peut susciter un agacement « à la française ». Mais pour peu qu’on se laisse aller à cet écrin ostentatoire, la leçon d’histoire humaine est juste. Coryphées d’une humanité traumatisée par son siècle, les amants prennent dans l’ultime séquence le nom de leur ville respective. Pôles géographiques condamnés à la distance qui les sépare, ils sont désormais l’expression d’une douleur universelle, qu’elle soit atomique, guerrière ou sentimentale.
Mais par la beauté plastique des mouvements dans cette ville qui renait de ses cendres, par les sourires et l’espoir fou de ces êtres fragiles, se dessine aussi la grande beauté humaine. Sur ces décombres brûlés par la fission nait la chaleur de la fusion, dans cette froideur des années noires sourd une chaleur irrépressible : en dépit de ce pire dont l’homme est capable, Hiroshima… est une plongée dans ce qu’il recèle de plus grand, de plus mystérieux et de plus vibrant : l’amour.
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Auteur: Dunandan

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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Scalp » Sam 25 Avr 2015, 07:24

La plus belle purge du cinéma français et je pèse mes mots, ça encule à sec les films de Maiwen.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Olrik » Sam 25 Avr 2015, 08:44

Excellente critique.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Dunandan » Sam 25 Avr 2015, 09:11

L'une des pires expériences cinématographiques de ma vie :mrgreen:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Sam 25 Avr 2015, 09:50

Olrik a écrit:Excellente critique.


Merci, je sais pas si c'est ironique vu le consensus contre le film ici bas. :mrgreen:

dunandan a écrit:L'une des pires expériences cinématographiques de ma vie :mrgreen:


Je viens de lire ta critique et les réactions qui suivent. Je peux comprendre. Je ne suis pas d'accord avec une chose, l'idée que ce soit un cinéma théoricien, sans âme et purement poseur.
Je crois que je me serais copieusement fait chier si je l'avais vu plus tôt. Là, j'ai apprécié, et même, ça m'a assez touché, même si effectivement, il y a une affirmation un peu irritante de sa singularité.
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Re: Mystères de Lisbonne - 8,5/10

Messagepar Olrik » Sam 25 Avr 2015, 19:13

Nulladies a écrit:
La seule image que j’attribuais jusqu’alors au cinéma de Ruiz était cette frappante séquence, dans Le temps retrouvé, de la sonate de Vinteuil, d’un formalisme exacerbé permettant aux auditeurs de glisser sur leurs bancs, transportés par la musique.


Oui, grand moment. J'ai souvenir aussi de celui où le loufiat lui touille sa tasse de café. Et finalement de pas mal d'autres moments. Finalement une incursion dans la Recherche assez probante. Et les Mystères de Lisbonne est effectivement un superbe film.
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Taxi Téhéran - 5,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 26 Avr 2015, 06:29

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Le fond et l’informe.

Taxi Téhéran fait partie de ces films dont le contexte de création est indispensable à son appréciation. Jafar Panahi, cinéaste muselé par le régime iranien, lui oppose par ce film illégal un cri à l’audace salutaire. Sans moyens, caché dans un taxi dont il s’improvise chauffeur, il embarque et dépose une kyrielle de passagers comme autant de témoins d’une situation qui fera frissonner tout défenseur des droits de l’homme.
L’idée, reprise à Kiarostami et son Ten, est cinématographiquement malicieuse : filmant ses passagers, jouant de la porosité entre documentaire clandestin et fiction arrangée, assumant le caractère factice de son dispositif (plusieurs personnages disent ainsi le reconnaitre, ou voir dans les autres passagers des comédiens récitant un rôle), Panahi fait feu de tout bois. La ville est un réseau dans lequel il se déplace, et malgré son enfermement signifié ici par la carrosserie de son taxi, il en capte les échos dissidents et disserte avec un peuple condamné à se taire.
La limite de son dispositif est sans doute légitime : acculé à un tournage dans l’urgence, menacé de toute part, le cinéaste a peu de temps pour dire beaucoup. Et s’il a le mérite d’ajouter de l’humour à la noirceur inévitable de son propos, s’il cherche à éviter le discours engagé plombant, ses détours ne sont pas toujours aussi efficaces qu’il le souhaiterait.
Didactique, écrit au forceps, assez maladroit dans ses transitions et dans son panel représentatif de tous les maux certes révoltants de la société dans laquelle il se débat, Taxi Téhéran génère un certain malaise. On ne peut qu’adhérer à son projet, sans pour autant se laisser porter par les démonstrations assez poussives qui le nourrissent, notamment en matière de mise en scène. Car c’est bien là que la situation est la plus délicate. Film interdit sur le cinéma, Panahi intègre à la plupart des sketches des réflexions appuyées au sein desquelles il fait figure de maitre à penser, des mises en abyme aussi inefficaces que pénibles à suivre (multiplication des caméras, des prises de vues, etc.), des références au spectateur et à la diffusion de son film.
On culpabilise à fustiger ces procédés, et encore plus à se demander si l’évolution du film, de plus en plus explicite sur son audace, ne cherche pas à nous rappeler la tolérance qu’on doit avoir face à lui.
Ce n’est pas parce qu’il est gauche que Taxi Téhéran perd de son audace et de sa fondamentale utilité. Geste fort, prise de risque évidente pour son créateur, il est un objet hybride dont on salue, en humaniste, le courage, tout en ayant l’honnêteté cinéphile de lui trouver certaines maladresses.
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Powaqqatsi - 5,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 28 Avr 2015, 06:49

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International mélo graphique.

Après la très belle surprise que constituait Koyaanisqatsi, on aborde avec une certaine méfiance ce nouvel opus, en se demandant dans quelle mesure il sera possible de renouveler le propos qui semblait d’une unité infaillible dans le premier volet.
Accordons à Reggio le mérite d’avoir voulu éviter la répétition. Alors qu’il s’attardait sur une vision globale de la planète, les choix le portent ici davantage sur les individus qui la composent, principalement dans leur labeur. Soucieux d’être exhaustif, il multiplie les prises de vue aux quatre coins du (souvent tiers) monde, s’attarde sur la tradition puis la modernité, et rend hommage aux visages qui se voyaient jusqu’alors occultés par le surplomb général.
L’autre parti pris est celui du rythme : aux accélérations et time lapses succèdent un recours quasi constant au ralenti. Très parlant dans la séquence d’ouverture, assez poignante, des ouvriers dans une mine à ciel ouvert, portant paquets de terre et corps de leur camarade, le procédé vire cependant assez rapidement à la recette systématique et répétitive à l’infini. Les images sont indéniablement belles, et passer sans transition du Pérou à l’Afrique, du Gange à l’urbanisme effrayant de l’Asie renouvelle certes la richesse iconique du film. Mais la musique elle-même semble moins inspirée, plus autonome, alors que l’aspect sériel et hypnotique collait parfaitement au montage frénétique de Koyaanisqatsi.
Diaporama de luxe, Powaqqatsi est sincère dans ses intentions, louable dans son désir de ne pas répéter une formule, mais ne fait guère mouche dans les nouvelles directions qu’il explore.
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Passion (2013) - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 12 Mai 2015, 05:22

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Nanard laqué

Les détracteurs de De Palma y verront une victoire : revoir son dernier film ne lui fait pas du bien.
La première partie, laborieuse, semble avoir pour unique objectif de remettre en place le cadre des anciennes amours du cinéaste : rutilance eighties, fascination pour le luxe, érotisme compassé. Une idée pointe, celle d’une auto-parodie satirique, tant tout cela sonne faux et cheap. Car au-delà de l’imagerie, les thèmes eux-mêmes sont éculés : la publicité, la manipulation, les mensonges, soit le back catalogue de Palmien.
Certes, tout cela est très bien filmé, et ne cesse de jouer avec les codes pour montrer à quel point le maitre à bord n’est pas dupe des artifices qu’il manipule. Cadrages carcéraux, intérieurs cossus et étouffants dans leur épure laquée, permanence du voyeurisme et de la surveillance des écrans contaminent progressivement le récit. Les comédiennes, assez irritantes, la blonde executive woman et la brune fausse victime, ont tout d’une pâle copie des couples iconiques du cinéma, Mulholland Drive en tête. Mais là aussi, l’ironie semble assumée, et De Palma prend un malin plaisir à faire de ses poupées des marionnettes dociles… Reste à savoir à quel profit.
A mesure que l’intrigue progresse, le cinéaste abat ses cartes. Loin des contraintes imposées par les grands studios, financé par une Europe acquise à sa cause d’auteur, il laisse libre cours à ses fantasmes et sa quête d’une beauté formelle. Comme dans Femme Fatale, qui s’ouvrait sur une séquence maitresse, les circonvolutions du polar ne sont qu’un prétexte à une exploration de l’image et ses fantasmes. La séquence en split-screen et les multiples retournements oniriques du final sont le véritable terrain de jeu obsessionnel du cinéaste, auquel il revient sans cesse, et avec une maitrise unique. Tout amateur de son cinéma y trouvera son compte, mais ayons la lucidité de reconnaitre que l’emballage pour y parvenir est de plus en plus léger, voire transparent.
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Elephant - 7/10

Messagepar Nulladies » Mar 12 Mai 2015, 05:24

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Parcours par chœurs.

Du premier au dernier plan, Elephant s’impose comme une étrange mécanique, un objet hybride qui prend le parti de nous emmener hors des sentiers battus et de fouler au pied les attentes dont il peut faire l’objet au regard du sujet qu’il traite.
Tout, dans ce récit, n’est que trajet. De celui des nuages filant au-dessus d’un poteau électrique dans le très beau plan initial aux zigzags chaotiques de la voiture paternelle dans la première séquence, Gus Van Sant semble se contenter de suivre les parcours de ses personnages convergeant vers la catastrophe.
Rivés aux nuques, s’enfonçant dans le dédale d’une structure inhumaine par sa démesure, le cinéaste propose une radiographie presque désincarnée d’individus qui se croisent dans une atonie générale trop artificielle pour être involontaire. Cette dilatation du temps, où l’action réelle des conversations ou des interactions est supplantée par les déplacements solitaires et sans parole, soulignée par la musique de Beethoven génère une mélancolie qui sera l’une des forces du film. Instants suspendus et insignifiants, polyphonie spatiale permettant de revoir la même séquence du point de vue de personnages différents, sans qu’elles servent réellement le sens du récit, se déploient en une poésie visuelle d’autant plus délicate et fragile qu’on sait l’imminence de la tuerie en ces lieux trop paisibles. Au dehors, la très belle photographie, incarnée par le personnage d’Elias braquant son appareil au hasard des rencontres, capte la lumière automnale avec une grâce imparable.
Non chronologique, c’est lorsqu’il tente d’insuffler les dissonances que le film perd de sa grâce aérienne. Si les brimades en off dont fait l’objet Michelle sont assez pertinentes, le portrait fait des ados tueurs est plus maladroit, démonstratif là où la distance humble permettait une empathie étrange avec les victimes.

Expérience atypique, Elephant surprend comme il trébuche, et son violent final fait mouche parce qu’il semble épouser l’état d’esprit de ses instigateurs, anesthésiés et sans réelle prise de conscience. Si le film peut se perdre par instant dans les errances dont il se veut le guide muet, il n’en reste pas moins un parcours de spectateur assez marquant.
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Shadows - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 12 Mai 2015, 05:25

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Impro c’est tout.

Au cours d’une des dernières séquences qui achève de faire de nos personnages des perdants au vu de la dérouillée qu’ils se prennent dans un local à poubelle, l’un des combattants met un poing directement sur la caméra, à deux reprises, l’occultant totalement. Déclaration d’intention on ne peut plus claire de la part de Cassavetes, qui pour son premier film, bouscule au propre comme au figuré les codes du cinéma de son pays au profit de ce qui va se nommer le « cinéma vérité ».
Soit la vie quotidienne et combinarde de jeunes paumés dans un New York underground où tentent, sans grand succès, de se mêler noirs et blancs sous l’illusoire concorde d’un jazz omniprésent. Tourné en 16mm, laissant en grande partie les comédiens improviser, Shadows se veut une captation brute de la pulsation urbaine, nocturne et spontanée de ceux qui n’ont pas grand-chose, ni dans leurs poches, ni à faire.
Les maladresses sont nombreuses, tour à tour irritantes ou séduisantes. Faux raccords, ellipses, dilatation du temps dans l’attente du surgissement émotionnel, le film distribue des séquences à la fois très théâtrales, surjouées, et par instants saisissantes d’authenticité. C’est dans l’immaturité des personnages, sorte d’adolescents attardés, qu’il s’en sort le mieux : éclats de rire, phénomènes de groupe probablement dus à l’improvisation, certains échanges sont très réussis. L’autre talent du film est sa propension à capter l’urbanité nocturne : les rues de New York, ses bars, ses enseignes lumineuses restituent parfaitement la pulsation de la ville qui ne dort jamais, annonçant la fascination vénéneuse de Taxi Driver ou l’oisiveté poétique de Jarmush, avec une différence de taille : ici, le cinéaste délaisse ostensiblement la dimension esthétisante de son cinéma.
Marivaudage brut sans réelle leçon à la clé (« Forget about it » étant la phrase finale), Shadows ne provoque pas d’empathie. La musique elle-même semble indifférente aux différentes scènes, et les nimbe de cette improvisation secondaire chatoyante et distanciée.
Une expérience qui a clairement sa place dans l’histoire du cinéma, mais n’atteint pas pour autant les cœurs.
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Faces - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 13 Mai 2015, 17:49

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Litres et ratures à l’estomac.

Après le choc expérimental Shadows et une tentative catastrophique d’intégrer les studios avec deux films, Cassavetes se donne les moyens de mettre en œuvre le cinéma qui lui convient. Avec pour tout budget la volonté de fer de ses comédiens techniciens, pour décor sa propre maison dont le garage deviendra une salle de montage, le metteur en scène entame un tournage nocturne de 6 mois dont émergeront 150 heures de rush et 6 mois de montage.
Contrairement à Shadows et en dépit des apparences, Faces ne laisse pas la place à l’improvisation. Très écrit, le récit ressemble au futur Coup de Cœur de Coppola, à savoir la mise à l’épreuve, une nuit durant, d’un couple qui expérimente de chaque côté l’infidélité et la possible décomposition de tous les repères construits au fil de 14 années de mariage. Dislocation, destruction, récupération sont les scansions de cette folle échappée, dont personne ne sortira indemne.

Désaccords des corps à corps.

De ce tournage frénétique, Cassavetes ne garde que les situations les plus cathartiques. Ses ouvertures de film si particulières, in medias res, nous plongent au cœur d’une situation qui préexistait et dont a tout à apprendre, sans mise en condition. Le film est construit sur ce modèle, et nous rend témoin d’individus avant tout réduits à des silhouettes qui se désarticulent, pantins que l’adversité met à terre sous l’effet de l’alcool, de la danse ou de l’hystérie. Baisers violents, gifles, empoignades, brusques revirements rythmes des échanges épuisés par la veille et l’embarras de conversations qui ne mènent à rien.
Dans cette frénésie, la caméra immersive se fraie un chemin inédit jusqu’alors, fouille les regards et les échanges pour en révéler les failles, exacerber les dérapages et les humiliations. Cette prise directe et brute qui porte la marque du documentaire laisse supposer un temps à une improvisation qu’on aurait saisie sur le vif. Mais le génie du montage, la multiplicité des prises des vues, les raccords violents sur un même corps à corps attestent au contraire d’un travail formel extrême qui magnifie la véracité de la situation tout en gommant le plus possible toute trace d’esthétisme.

“What the hell are we talking about ?”

Une première version du film aujourd’hui perdue du film durait 4 heures. Les 2h10 qu’il dure aujourd’hui sont déjà d’une densité impressionnante, d’autant que la trame narrative tiendrait en un court métrage. C’est là le parti pris de Cassavetes, qui se poursuivra sur ses films suivants, que de dilater à l’extrême des situations matricielles pour en faire surgir tout le potentiel dramatique. Passant de la cordialité à l’animosité en une phrase, captant comme le feront plus tard Pialat ou Kechiche les tensions et la complicité des interlocuteurs.
Sans musique, si ce n’est dans la fabuleuse scène de danse du club, les échanges attestent d’une impuissance totale à échanger et construire du sens. Langage phatique, chansons, comptines et blagues prennent donc naturellement le relai, et l’embarras de cet aveu d’échec innerve les consciences jusqu’à l’implosion et la prise du pouvoir par les corps. On a rarement vu cette escalade aussi bien traitée, portée par des comédiens d’exception, dévoués corps et âme à cette valse malade dont l’authenticité frappe à l’estomac.

Hébétés, les personnages et les spectateurs découvrent le matin poindre sur cette nuit de massacre. C’est un plan magnifique de la fuite de l’amant par la fenêtre, sautant du toit et dévalant un talus dans une profondeur de champ vertigineuse, ou cette même oblique d’un escalier sur lequel le couple se retrouve, se croise et reprend le chemin du domicile conjugal.
Bribes de lumière, temps suspendu : nous en avons trop vu pour considérer ces instants comme un répit. Nous avons perdu avec les personnages la candeur d’un regard jusqu’alors en vigueur dans le cinéma et que Cassavetes a dessillé.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar osorojo » Mer 13 Mai 2015, 17:59

Et bien, belle prose, il t'a inspiré ce film ! :super:

Je n'ai rien vu de Cassavetes, tu donnes envie de tenter :mrgreen:
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