Poil de Carotte
Julien Duvivier - 1932
Durant les vacances, François Lepic, dit Poil de Carotte, revient de sa pension pour loger chez ses parents. Rien de plus ordinaire sauf qu’il semble avoir une mère qui lui voue une haine tenace…
On trouve six versions de Poil de Carotte (pour le cinéma ou la télévision) et, s’il ne devait en rester qu’une, ce serait assurément celle-ci. Deuxième adaptation du chef d’œuvre de Jules Renard par Duvivier, mais cette fois-ci parlante, cette version de 1932 est la bonne et il sera par la suite inutile d’aller voir s’il existe mieux. Le tissage de l’histoire en piochant sur les courts chapitres de l’œuvre est habilement fait. On commence comme une comédie, on se dit que les petites brimades de Mme Lepic ne sont pas bien méchantes et que ce loustic va sûrement prendre un malin plaisir à la faire enrager. Sauf que le duo Poil de Carotte / Mme Lepic n’a pas grand-chose à voir avec un Tom Sawyer / tante Polly. A un moment le sourire se fige et les images de cette campagne française luxuriante deviennent tout à coup bien sombres. Non, Poil de Carotte n’est pas Tom Sawyer et l’on commence à souffrir avec lui, maudissant cette peau de vache qui vaut bien les pires monstres des meilleurs films d’horreur. C'est bien simple, à chaque fois qu'elle apparaît, on a l'impression que c'est Leatherface qui va faire sa fête au petit rouquin ! Dès la scène d’ouverture, l’interprétation qu’en fait Catherine Fontenay est glaçante. On ne la voit pas, on entend juste sa voix. Mais quelle voix ! Tour à tour dérisiore, horripilante ou effrayante, elle se superpose à une apparence physique elle aussi inoubliable, sorte d’ersatz violemment antipathique de femme.
Face à elle, on a le jeune Robert Lynen, alors âgé de douze ans (et il n’en aura hélas plus que douze autres à vivre puisqu’il mourra en Allemagne en 1944, fusillé par les nazis pour faits de résistance), et dont les taches de rousseur, la gouaille et la maigreur semblaient le prédestiner au rôle. Impossible de voir d’autres versions sans penser à lui (le jeune acteur dans la version avec Philippe Noiret apparaît bien fade en comparaison). Ses rires, ses gestes et ses airs de chien battu en font une figure inoubliable dans la galerie des gosses malheureux au cinéma.
Mais peut-être que les sommets sont finalement atteint par Harry Baur dans le rôle de M. Lepic. M. Lepic, dans le roman, c’est un peu l’homme invisible. Le bon gros bonhomme qui ne voit rien, qui ne dit rien (sauf dans l’ultime chapitre où il apparaît plus profond qu’on ne le pensait), tant sa femme a pris l’habitude d’accaparer l’air de la maison et de gâcher l’ambiance. Si on retrouve ce côté passif et débonnaire dans la performance de Baur, propulsé monstre sacré avec l’avènement du parlant, il y ajoute aussi un paternalisme embarrassé, une prise de conscience incrédule par rapport à ce que subit son fils, enfin une affection qui ne demande qu’à jaillir. Duvivier a pris des libertés avec sa fin par rapport à celle du roman (« la Révolte », qui apparaît plus tôt dans le film). On lui pardonne. La scène témoigne de la capacité à amener une scène à son paroxysme et franchement, si vous n’y allez pas de votre larmichette, c’est que vous êtes de fieffés salopards.
8.5/10
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Harry Baur, Robert Lynnen et Catherine Fonteney, une dream team.
Un découpage et un arrangement des chapitres adroits.
La finesse du roman préservée.
Des ajouts dans l’esprit de l’œuvre originale.
Un final à faire chialer à jets continus dans les chaumières.
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Les personnages de Félix et d’Ernestine, trop âgés et trop grands.