Haute Pègre, Lubitsch, 1932
Champagne, champagne, aujourd’hui j’ai la gagne.
- Haute Pègre est une comédie qui date de 1933. Ça veut dire qu’elle est en noir et blanc et que ce qui fait rire dans l’ancien temps n’est plus drôle aujourd’hui. En fait, avant ils n’avaient pas les moyens pour faire de l’action et des cascades alors ils faisaient que parler. On trouve le comique de geste, un peu, quand ils se volent toujours des choses et quand il ouvre plusieurs fois la porte. On trouve le comique de répétition quand il ouvre plusieurs fois la porte. On trouve aussi le comique de mot parce qu’il répète toujours pomme de terre et un mot compliqué, amygdales. Le comique de situation c’est parce qu’ils mentent toujours pour escroquer les gens.
…
Voilà, j’ai fini.
- Merci Enzo. C’est dommage, tu lisais ton texte. Dans un exposé, essayez de vous détacher de vos notes et d’être plus spontanés. Bon, sur le fond… Tu n’as pas fait les comparaisons avec les pièces qu’on a vues cette année.
- J’ai pas trouvé, Monsieur.
- Mais les déguisements, les rôles qu’ils jouent ! Gaston se déguise en aristocrate, puis prétend qu’il est pauvre auprès de Mariette dont il devient le secrétaire. Lily devient sa propre secrétaire alors qu’elle domine le jeu de tout le monde. C’est du Marivaux ! Vous avez remarqué comme on change de classe sociale en fonction de son interlocuteur ? Et la façon dont Gaston embobine tout son entourage, le fait qu’il soit polyglotte, la séduction de Mariette quand il ouvre son sac et accède à son intimité, ça ne vous dit rien ?
- …
- Dom Juan, enfin !
- Ah ouais. Nan, en fait.
- Bon, tu peux aller t’asseoir. La séquence d’ouverture, vous vous souvenez, je vous avais demandé d’être particulièrement attentifs. Qu’est-ce que vous avez remarqué de particulier ?
- Ils sortent les poubelles, monsieur.
- Oui, très bien ! Et ?
- Ben ils sortent les poubelles, quoi.
- Oui mais dans une gondole !
- Ouais c’est réaliste alors. Il dénonce.
- Non, pas vraiment. C’est un jeu avec le topos de Venise.
- Le quoi monsieur ?
- Le topos. On l’a déjà vu cent fois, Alexis. Le cliché, le lieu commun. Pour Venise, c’est la gondole romantique, les amoureux. Ici, la vision est parodique et nous propose d’accéder aux coulisses. D’où le splendide travelling latéral sur la façade qui suit et le malfrat en ombre chinoise : nous sommes dans un monde de paraitre et de futilité dans lequel se jouent des drames cachés et illicites. Pensez au titre original, Trouble in Paradise. Vous notez, bien sûr. Deux l à illicite.
- Vous avez dit quoi après « Alexis », monsieur ?
- Bon, passons. C’était drôle, quand même, non ?
- Nan il a raison Enzo. C’était chelou.
- Chelou, ça veut rien dire, Allison. Lubitsch, c’est de la magie pure. Vous avez vu ce rythme, cette rapidité, comme ça fuse de partout ?
- J’avoue, ça j’ai bien aimé, monsieur !
- Ah voilà, explique-nous, Logan.
- 1h22, nickel. La dernière fois, le film sur les cornichons du mur de Berlin, j’avais dormi. Là, presque pas.
- Bref. Les répliques, la satire des domestiques comme des maitres, la malice des personnages, les portraits, l’interprétation jubilatoire, la précision de l’écriture ! Les running gags, les échos dans la structure, les hasards et coïncidences, ça pétille, c’est du champagne ! Non ?
- Quand on vous écoute on voit les effets du champagne, MDR.
- Monsieur, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Ils l’ont dit l’autre jour au lycée. Nous, vous comprenez, on respecte ce qu’on nous dit, après faut pas s’étonner.
- Ouais, et on est en démocratie, quoi. Vous pouvez pas nous forcer à rire. L’autre.
- Bon, restez corrects, tout de même. L’exposé suivant porte sur la mise en scène. Cassandra ?
- Oui, euh, alors j’ai mis : « Limpide et directe, la mise en scène joue avant tout sur le motif de la clarté. Supreb.. Subreti… »
- Subreptice ?
- Ouais, voilà, … « la caméra contourne les façades pour mieux encercler les individus qui s’y logent tandis que le montage gavaniz la dynamique imparable des dialogues, faisant de cet opus un sommet de la Lubich touche. »
- La « Lubtisch touch ». Ça ne sert à rien de tout copier sur internet, Cassandra.
- J’ai pas pompé.
- Tu peux m’expliquer le terme « gavaniz » ?
- …
- Exposé suivant : « Une histoire immorale ? » Allan, c’est à toi. Et s’il vous plait, ne lisez pas, travaillez votre expression orale en direct.
- Pas de risque, monsieur, j’ai rien écrit.
- Je ne sais pas comment je dois le comprendre.
- Ben c’est net, j’avoue. En gros, ils disent que la chourave, c’est classe. Tu peux carotte les blindés, tranquille.
- Certes. Euh… C’est plus subtil que ça. On est davantage dans l’amoralité. Il s’agit…
- Monsieur, toute façon c’est une pute.
- Grave.
- Ecoute, Laurine…
- Nan sérieux : carrément elle dit à la fin elle l’achète. Et la Sarriette elle augmente Lily de 50 € …
- Mariette. Et ce sont des francs.
- Ouais, francs, spareil, pour qu’elle puisse le coincer parce qu’elle le kiffe.
- Bon, calmons-nous. Votre enthousiasme est très intéressant, il prouve que vous réagissez au film. Mais on est en train d’empiéter sur le dernier exposé, « Une histoire d’amour ? », d’Elodie. Allan doit finir le sien d’abord.
- J’ai fini monsieur.
- OK. Bel exposé, Allan, puissamment dense et riche de conviction.
- C’est ça monsieur, l’ironie ?
- Bravo, Allan. Elodie ?
- Bah ils ont un peu tout spoilé, quoi.
- Tu n’as rien à ajouter ?
- Nan.
- Tu n’as rien préparé, en fait.
- Si, mais j’ai écrit exactement ce qu’ils ont dit.
- Que « C’est une pute » ?
- Voilà.
- Bien. Oui, Léa ?
- Monsieur, vous allez kiffer, j’ai vu un intertexte. Cendrillon avec les sacs, au lieu des shoes.
- Très bien, Léa ! Il y a en effet quelque chose du conte de fée dans l’univers de Lubitsch, auquel on ajoute une forme d’irrévér…
- Eh mais monsieur, la vérité, c’est des pervers quand même. Genre il la secoue et tout, pour avoir le larfeuille, après il palpe tranquille la blonde et la brune…
- Ouais comme elle l’allume celle-là ! Style « j’enlève mes bijoux, t’as vu comme je me désape, je te promets un booty shake en coulisses »
- Une formulation fleurie, Brian, mais qui met le doigt sur l’audace du propos.
- Ouais Brian y met souvent le doigt, Monsieur.
- Ça suffit, Kader. Je reprends. Nous sommes dans l’ère du pré-code Hays, et comme on le verra dans le chef d’œuvre suivant, Sérénade à trois, le trio amoureux…
- Moi j’trouve ça s’fait trop pas à la fin. Mariotte elle se fait lourder et les autres ils ont la thune.
- Mariette. Mais la thématique du vol est le sujet même du film, vous avez raison. Souvenez-vous de cette extraordinaire séquence de rencontre amoureuse entre les protagonistes. Ils font connaissance en constatant le talent de l’autre à avoir subtilisé des objets de plus en plus intimes, jusqu’à la jarretière. Le vol est un stimulant érotique, vous comprenez : tout ce qui motive la passion amoureuse passe par le fait de subtiliser : je te surprends, je te prends…
- Ouah monsieur, c’est trop hard !
- Non mais vous m’avez bien compris.
- Ouais, grave : Vas-y Kenza, j’te tire ton Iphone, j’peux te tirer ?
- Steve, tu vas trop loin.
- Ben j’traduis, quoi.
- N’oubliez pas le registre : c’est avant tout une comédie. Les personnages sont des illusionnistes, des caméléons qui rendent leurs méfaits jubilatoires : c’est exactement ce que fait Lubitsch lui-même, qui brille par son impertinence.
- Comme nous, quoi.
- Tout à fait. Affutez-là pour le film du mois prochain.
- C’est quoi, m’sieur ?
- Le Tango de Satan. Vous allez « kiffer ».