Les plaisirs de la Chair - Nagisa Oshima (1965)
Nagisa Oshima nous offre un bel exercice de style avec ces Plaisirs de la Chair, polar arty à la croisée des chemins, autant expérience formelle que radioscopie de la société japonaise. Déjà parlons de la forme, Oshima bien que lié à la Shochiku et donc se devant de tourner son film "comme les autres", va instiller une façon de cadrer les interieurs qui doit pas mal au Mépris de Godard, au lieu d'employer un découpage classique champ/contrechamp, la caméra va régulièrement se poser en plan fixe et pivoter dans le décor pour laisser les acteurs jouer, tout en utilisant le zoom pour donner l'illusion d'un changement de plan quand on veut passer d'un plan d'ensemble à un gros plan, de vrais petits plan-séquences quasi-invisibles et bien cadrés (le scope est pas là pour décorer). Un entrisme subtil qui force le respect, c'est certes pas toujours nécessaire mais ça a le mérite de n'être pas trop m'a tu vu, idem pour la photo, belle comme dans la plupart des productions 60's mais sans être "in your face". Quelque part sa façon de faire m'a rappelé A Fleur de Peau de Steven Soderbergh, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Parlons un peu de l'histoire, on sent qu'Oshima se sert du genre pour faire passer sa vision toujours sombre de l'Homme, prisonnier de ses désirs, qu'ils soient sexuels ou monétaires, le personnage principal qui condense à lui tout seul le mal de la société japonaise : toujours a courber l'échine, a subir sans jamais rien recevoir en retour et même quand le destin va lui sourire en lui offrant l'opportunité d'assouvir ses lubies, il n'en garde pas moins un caractère très responsable et soumis (le fait qu'il veuille se suicider une fois son argent dépensé pour éviter le déshonneur face à l'homme qui le lui a confié, c'est du Yukio Mishima tout craché) qui va le mener a sa perte. Mais le tout est traité de manière très elliptique, on passe d'une époque à une autre, d'une femme à l'autre, le fait étant que notre perso principal en reste au point mort quoi qu'il arrive et sa quète d'un bonheur simple semble s'éloigner de plus en plus jusqu'au dénouement final qui est d'un désespoir hallucinant. Dommage que la voix-off pensive du héros gâche un peu le résultat, sans parler de tout un passage où il s'amourache d'une infirmière qui ressemble a un mec qui plombe un peu le rythme du film.
Autrement, c'est une belle entrée en matière car le film est franchement bien rythmé et la preuve qu'Oshima n'est pas qu'un simple auteuraillon pour festivals bobos mais un authentique franc tireur, qui ne soustrait jamais (ou presque...) son goût de la belle image pour assouvir ses penchants contestataires tout en gardant une certaine pertinence dans ce qu'il raconte, ce juste milieu entre le fond et la forme qui manque a pas mal de réalisateurs....
7,5/10