⌲ ONCE UPON A TIME IN THE WEST (1968)de Sergio Leone avec Charles Bronson, Henry Fonda, Claudia Cardinale.
Histoire: Alors qu'il prépare une fête pour sa femme, Bet McBain est tué avec ses trois enfants. Jill McBain hérite alors des terres de son mari, terres que convoite Morton, le commanditaire du crime (celles-ci ont de la valeur maintenant que le chemin de fer doit y passer). Mais les soupçons se portent sur un aventurier, Cheyenne...
Once Upon a Time in the West est avant tout une force de la nature. Un projet refusé par Leone lui-même au nez et à la barbe de United Artists, avec qui il avait collaboré sur sa fameuse trilogie du dollar conclue en 1966 par ce qui devait être le dernier western du maitre italien, The Good, The Bad and the Ugly, qui lui n’avait d’œil que pour un projet plus personnel visant à adapter le livre autobiographique « The Hoods » qui servira de base beaucoup plus tard (1984) à Once Upon a Time in America. C’est uniquement quand la Paramount offrira à Leone le privilège de travailler avec Henry Fonda, un de ses acteurs préférés, que l’italien acceptera de mener à bien le projet Il était une fois dans l’Ouest.
Leone engage Bernardo Bertolucci et Dario Argento, deux ex-critiques cinématographiques et futurs réalisateurs de renom, pour peaufiner son script. Au niveau du casting, ce fut Clint Eastwood qui était censé servir de nemesis à Frank mais devant le refus de ce dernier, c'est Charles Bronson, déjà proposé par United Artists (et refusé par Leone) qui prit finalement les traits de Harmonica. Inspiré par ses références américaines du western classique (Ford, Wayne, Zinnemann), Sergio Leone sort finalement de terre une fresque épique et immortelle, une petite histoire peinte sur les grands murs d’une Amérique panoramique et infinie.
L’histoire est simple : Brett McBain, père de trois enfants et mari de la belle Jill vivant à la Nouvelle Orléans, se fait exécuter par un mercenaire, Frank, et sa bande, avides de sa terre censée entourée le chemin de fer et un puits d’eau dans la ville de Flagstone. La propriété, prisée par l’homme d’affaires Mr Morton, un homme faible et malade n’ayant que pour seule arme son argent cash à volonté, utilise Frank pour aller tuer la belle Jill et récupérer sa terre qui lui revient pourtant de droit. Arrivent alors une figure reptilienne sifflant des airs d’harmonica qui tentera de protéger Jill tout en construisant sa vengeance personnelle envers Frank et le malin et renégat Cheyenne, suspecté à tort d’avoir massacré la famille McBain et qui fera figure de troisième homme aux desseins ambigus.
La grande qualité du film réside d’abord par la force et la liberté de ces trois figures emblématiques. Celles de cow-boys mouvants, tournant autour de la même cible avec en eux des enjeux différents. Leone leur laisse une liberté de mouvements aussi grande que celle de sa caméra, fluide et chirurgicale au moment de figer l'instant. Les figures bougent lentement et repoussent tout en subtilité le moment de l’affrontement final et cette construction n’est pas sans rappeler Le bon, la brute et le truand.
Les enjeux globaux du film sont flous dès le départ puisqu’on assiste, après une rencontre tendue et mythique au sein d’une gare désaffectée, à un massacre sans en connaitre la raison. Et là où le script est fort bien construit c’est qu’il parsème au compte-goutte, comme on égrène des miettes le long d’un chemin amenant à une destination voulue, les informations qui vont nous faire comprendre petit à petit à qui on a affaire et comment les choses risquent de se passer.
Sergio Leone pratique ici un cinéma patient, millimétré, profond, qui sait parfaitement ce qu’il a à dire et prend le temps d’articuler pour mieux imposer sa maitrise. Le montage est sec, imprévisible et l’enchainement des plans se fait de manière souvent nerveuse, surprenante car cassant avec un rythme posé propre à la définition de la tension chez le réalisateur italien. La photographie signée Tonino Delli Colli est magistrale. Les plans larges font parfaitement leur travail de description du cadre géographique : le grand Ouest est infini et pourtant l’action se déroule dans un seul et même village, un peu paumé, uniquement étiré par la présence du train à vapeur. On a véritablement une démonstration de mise en scène, une science du cadrage démente et une composition de plans là aussi calculée au centimètre près.
Un grand rôle est donné au silence, qui est étiré lui aussi à l’extrême pour faire ressortir du cadre des figures fortes, iconisées au maximum qui rendent le moment indélébile, inoubliable, intemporel. La composition d’Ennio Morricone, elle, ne fait pas simplement son travail d’accompagnement mais résiste à tout car elle a cette capacité à surgir, transpercer la pellicule de manière percutante, presque inespérée et réussit à dépasser le cadre cinématographique, brise les barrières et se pérennise au-delà de l’objet filmique. C’est le même principe pour ces notes d’harmonica, qui d’annonce se transforment en rituel, ne deviennent pas seulement un objet (sonore ou imagé) iconique mais prolongent le mythe, deviennent quelque chose qui reste et qui se transmet. Là on pense par exemple au personnage de Omar Little dans The Wire qui par son sifflement annonce son arrivée, le fusil à pompe dans le dos et la balafre sur le visage.
L’iconisation, c’est ce qui ressort de cette mise en scène parfaite. En plus de la bande sonore, Leone va utiliser les gros plans pour arriver à figer une silhouette dans l’instant et la rendre immortelle. Plus que cela, ces plans servent de description imagée des personnages : on apprend à les connaitre en fixant les traits de leur visage, les rides de leurs yeux et la crispation de leurs traits. Devant les corps défunts de son mari et de ses trois enfants, la lecture sur le visage de Claudia Cardinale est infini et on y lit un mélange de frustration, de mépris et de tristesse en même temps qu’une réelle force dans ses yeux qui sera décrite plus tard dans sa manière de garder la tête haute même quand elle aura vendu son honneur à l’assassin de son mari.
Car dans cette Amérique-là, régie par l’argent et les armes, par la notion de propriété synonyme de liberté que l’on acquiert par une arme et que l’on défend par une autre, ne laisse pas la place à l’honneur, la dignité et l’intégrité. Ces valeurs-là, elles restent enfouies à l’intérieur des âmes et seule la survie compte. Que vaut l’intégrité en face de la vie, de la mort ? La morale est floue et ne transparaitra que via une destinée inattendue d’un homme patient, rusé et placide qui mènera à bien sa vengeance. Longue et calculée, implacable à l’image de tout le film. Incroyable, cette fluidité, ce naturel avec laquelle cette fresque d’une dimension dantesque arrive dans son dernier quart à se resserrer en une histoire d’un seul homme. Il était une fois…un homme, un pays, une histoire, un récit.
Finalement Once Upon a Time in the West c’est quoi ? Du cinéma d’observation discontinue et vivace à travers et au-delà du cadre filmique. C’est le lent mouvement d’éléments qui définissent à leur rythme les contours d’un objet précieux et scintillant qui restera à jamais légendaire et intemporel. C’est finalement une certaine idée, que dis-je, une définition de la classe.
10/10