Seven, David Fincher, 1995.
Enfer et contre tous.
Que Se7ven soit un bon film n’est pas à démontrer. Son scénario retors, la logique imparable de sa dynamique, la tragédie maitrisée et les étapes trop rutilantes d’une enquête manipulatoire en font un thriller de haut vol. La question n’est pas là. Elle se situe dans une réplique de Mills, quelques minutes avant qu’il ne devienne la pièce maitresse de John Doe sur son brillant échiquier :
“You're no messiah. You're a movie of the week. You're a fucking t-shirt, at best.”
Si Se7ven outrepasse son genre, s’il déborde le statut de bon polar de la semaine, c’est que c’est un grand film.
Par l’univers qu’il dépeint, tout d’abord. Certes, la série de meurtres offre un raffinement dans une atmosphère horror-chic qui sera séminale pour le genre de la décennie suivante, à la fois au cinéma et dans les séries. Le générique à lui seul témoigne de cette maitrise du détail, de cette fascination pour une exploration du mal méthodique et des moyens qu’il a déployés pour diffuser l’atrocité sur le monde. Mais c’est justement ce monde qui bénéficie d’un traitement aussi rigoureux. Un quotidien dans lequel la pluie ne cesse jamais, où l’on dort accompagné d’un métronome, et où l’individu doit faire un choix : accepter d’y vivre, c’est-à-dire s’accommoder de l’enfer.
Deux alternatives : le départ, celui de Somerset. L’installation douloureuse, celle de Tracy. Et entre eux deux, les tours de cage de Mills, qui refuse ne serait-ce que de se poser la question : il y est, il appartient à ces lieux, et il en corrigera les défauts.
Le double enjeu du récit, celui d’une remontée vers les sources du mal et la décision de mettre au monde en enfer s’entremêle avec une maitrise totale. Le duo entre Somerset et Mills est celui de la raison et de la passion, du désespoir du sage face à la fougue mal maitrisée du jeune sanguin, encore lui-même un enfant.
On sentait déjà dans Alien 3 la passion de Fincher pour l’exploration de l’espace qui se débride ici en une plongée vers les abysses saisissante de maitrise : appartements obscurs, bas-fonds d’une ville qu’on ne parvient jamais à saisir dans sa totalité, la progression est claustrophobe, des diners cradingues aux bordels, dans les corridors trop vastes ou à l’aide d’une lampe torche qui peine à prendre la mesure des ténèbres. A l’unisson, le rapport à l’enquête est sans cesse occulté : on arrive toujours après, et les ellipses se comblent progressivement dans une gradation de l’horreur qui dit calmement et posément son nom.
Le maillage poisseux qui englue les personnages se suffit donc à lui-même. Y greffer l’un des personnages les mieux écrits de l’histoire du thriller, John Doe, comme grand maitre arachnéen propulse le polar vers les abymes de Dante.
Omniprésent, suscitant l’obsession, Doe maitrise tout, jusqu’à ses apparitions, dans des séquences au découpage fabuleux et cauchemardesque où les enquêteurs sont sans cesse perdants. Si découverte il y a, c’est parce qu’il l’a bien voulue, et la splendide traversée d’un champ de pylônes inondé de soleil est loin d’apporter la rédemption qu’on pourrait lui associer, en opposition aux ténèbres pluvieuses qui régnaient sur l’ensemble du récit. Car la révélation au terme du trajet sera, au sens grec du terme, celle de l’apocalypse.
Si Se7en est un grand film, c’est parce que la tragédie qu’il dessine en dit davantage sur la faiblesse des humains que sur la puissance du tueur ; et parce qu’il propose une réflexion glaçante sur la maitrise du récit et de la mise en scène comme celle d’un orfèvre psychopathe qui aurait compris mieux que les personnages comment les enfermer. Il n’est pas innocent que la première apparition de Doe se fasse derrière l’objectif d’un appareil photo. Tout, ici, annonce l’entomologiste méthodique et fascinant que sera Fincher dans ses films suivants, et il est difficile de ne pas lui attribuer la déclaration d’intention de son personnage :
“What I've done is going to be puzzled over and studied and followed... forever.”