Les arcanes du blockbuster, chapitre 14
Sur la table en acajou, une corbeille de fruits, au centre desquels se loge un micro invisible à l’œil nu.
- Bon, on reste avec M. Brennan dans notre matinée consacrée aux intérêts de la nation. Maintenant que le projet d’American Sniper est bouclé, travaillons un peu la politique internationale. Nous vous écoutons.
- Bon, on s’est concertés, et le meilleur moyen de contenter l’opinion publique, c’est de taper sur une cible facile qu’on a tendance à oublier. On a donc pensé à la Corée du Nord.
- Ah oui, bien. Tout l’inverse de nos valeurs. Ils mangent pas, ils gueulent pas, ils ont pas d’industrie du divertissement.
- Et pis y’a des mèmes qui flashent, avec les gosses et leur grosses guitares, MDR.
- Et leur dictateur il a quand même LA coupe du siècle, quoi.
- Voilà. Donc, en complément du pathos patriotique de pépé Clint, on voudrait une comédie fustigeant l’antidémocratie des niakoués.
- Ok, on a ce qui faut. C’est du boulot pour Rogen & Franco, ça.
- Déjà qu’ils ont su traiter la fin du monde… Considérez ça comme plié.
8 mois plus tard, siège de Sony.
- … et le projet de cross over MIB/Jump Street, putain, ils ont même trouvé ça !
- Bon, on se calme. Je sais que vous êtes tous bouleversés par le hacking dont nous avons été les victimes. Je vous ai réuni parce que nous avons reçu ce mail de revendication.
- C’est en coréen ?
- Non, c’est en anglais. Je vous le lis.
« Salut Sony.
Merci de lire ce message à votre staff. Vous passerez le bonjour à Bryan, dont on trouve la femme fort gironde, à Stanley qui devrait vérifier quand trainent des caméras lors de ses soirées déguisées, »
- Putain chef, c’est pas moi, je vous jure !
« à Rick et Dick qui, au vu de leurs comptes offshore, n’ont vraiment pas besoin d’augmentation cette année. »
- …
« Ne dites rien en revanche à John, son goût pour les mineures asiatiques nous l’ayant rendu plutôt antipathi… »
- Alors là n’importe quoi !
- Bon, je passe. Voilà la suite :
« Au vu des scripts que contiennent vos cartons, nous nous félicitons davantage encore de notre projet, visant à vous punir pour l’étron que vous vous apprêtez à déposer sur les écrans américains. Que Messieurs Rogen et Franco vous pondent un scénario comme ils écriraient un SMS un soir de biture, c’est leur problème. Après tout, vous leur donnez carte blanche sur leurs bromances depuis des années, il n’y a pas de raison. Mais que vous puissiez investir de l’argent sur un pareil projet et en faire la promo nous oblige à prendre des mesures de rétorsion. Ce n’est pas parce que les frères Farelly et Apatow ont réussi avec du trash, que la recette se borne désormais à un mix d’érections, de bite au guacamole, de north corean pussy, de vomi et de diarrhée. Les problèmes sexuels identitaires de Franco et Rogen et leur obsession anale pourraient faire l’objet d’un sketch, mais nous asséner cela 1h50 durant a tout de la punition infligée à un pédopsychiatre commis d’office. Ayez s’il vous plait le courage d’expliquer à M. Rogen que son rire de phoque en fin de vie ne fait pas office de réplique, et à M. Franco qu’il devrait modifier la posologie de ses amphétamines, celles-ci ayant des conséquences fâcheuses sur la qualité de son jeu.
Dans l’intérêt public des spectateurs dont nous représentons un panel fidèle, nous nous devions de vous avertir. Et que la sanction ayant fait effet sur ce film vous serve de leçon pour les prochains.
Cordialement. »
- …Oh putain, on fait quoi maintenant ?
- Je sais pas. Je n’avais pas encore vu le film.
- Le voyez pas, chef, vraiment.
- Bon. Faut quand même expliquer les hacking.
- On accuse les Nord-Coréens ; genre on était courageux et pourfendeurs, tout ça.
- Ok. Mais il reste le film.
- On le sort pas, genre mesure de sécurité. On fait un DTV pour limiter la casse.
- On le laisse filtrer sur le net, on passe pas par les critiques habituelles.
- Ouais. Buzz, liberté d’expression, « Je suis Rogen », tout ça. Putain, chef, on va cart…
- Ta gueule, Dick.