Ma plus grande claque de l'année.
Whiplash est tout simplement l'un des meilleurs films que j'ai vu sur ce que l'art peut nous demander comme exigence, discipline, et sacrifice, ce qui en fait un digne héritier de l'excellent
Red Shoes. D'abord superbe hommage au jazz en proposant l'une des meilleures BO de l'année (difficile de ne pas battre du pied en rythme), la réalisation est également au top, parfaitement maîtrisée. On retient surtout le montage, réglé au millimètre près. Ce qui tombe bien car il ne s'agit au fond que de cela, de rythme et de mesure, acquis dans le sang et la transpiration.
L'une des grandes forces de l'histoire est d'abord sa simplicité dans les intentions, qui se résume à devenir le meilleur batteur d'une école prestigieuse de jazz pour l'un des personnages principaux, et pour l'autre, le prof, de mettre le coup de baguette nécessaire pour y parvenir. Mais cette idée simple est transcendée par plusieurs éléments, qui apportent une énergie incroyable à l'ensemble. Parmi ces composantes, le duo d'acteurs, pensé comme un duel, absolument génial. Et pourtant il aurait pu tendre vers la caricature ou le manichéisme faciles (un peu comme dans
Black Swan, même si je l'aime beaucoup aussi). D'un côté, on retrouve Andrew, jeune batteur doué mais marginal, solitaire, presque ignoré de sa famille, obsessionnel. De l'autre, un prof tyrannique qui a l'oreille absolue et pousse ses élèves à bout, au-delà de leurs capacités (ses dialogues sont d'ailleurs bien violents, l'entraîneur de
Full Metal Jacket peut aller se rhabiller à côté). Une grande justesse vient habiter cette confrontation physique et mentale. Et cela, on le doit d'abord à la prestation des deux acteurs qui offrent une présence incroyable à l'écran, ainsi qu'au scénario qui, tout en étant efficace, est plus subtil et malin qu'il n'y paraît.
On nous épargne en effet plusieurs clichés, comme la classique
success story à laquelle on a trop souvent droit avec cette quête d'absolu et de perfection, ou le schéma adulte tyran/adolescent sensible, plus ambigu qu'à première vue. La façon perverse dont chacun évolue, toujours au nom de cet art ô combien exigeant (écartée la
love story, écartée également l'amitié prof-élève), donne ainsi lieu à des séquences géniales et marquantes (la partition oubliée, la rupture, l'entraînement) pour montrer que rien n'est dû à la chance et la gentillesse, mais à une persévérance et une abnégation quasi surhumaines pouvant conduire vers la folie (l'utilisation répétée de ce même morceau de musique est à ce titre très pertinente). Deux de ces séquences, qui se répondent parfaitement, permettent de renouveler les enjeux du film, qui auraient pu se réduire à une simple querelle conduisant à un vainqueur et un perdant. Il se crée alors entre eux, contre toute attente, durant un ultime morceau de bravoure (musical), une certaine forme d'intimité et d'admiration, qui justifie et en même temps transcende cet esprit de compétition et de sacrifice encouragé au début. Un moment de complicité et de satisfaction. Efforts, dépassement, regards, et bien sûr, la musique. Tout est dit en une seule scène, sans un mot, par la seule puissance de l'image et du son, synchrones comme jamais.
Bref, un chef-d'oeuvre à la fois électrisant et galvanisant sur le jazz, le dépassement de soi, et la quête d'absolu, qui offre au passage un propos subtil contre cette tendance de notre société à se contenter d'une certaine "moyenne", sans aller au bout de soi dans ses aspirations profondes. Et quoi de mieux que ce bouquet final pour nous rappeler à quel point ce genre de personnes manquerait terriblement à l'humanité, justifiant ainsi cette exigence aigüe, (paradoxalement) presque inhumaine ? Marquant des points à tous les niveaux, voici donc l'un des meilleurs films d'une année qui a tardé à sortir ses plus beaux atouts, permettant ainsi de la terminer en apothéose.
Note : 9/10