Pour clore mon topic, comme l'année dernière, mon bref top 2014.
15 - Whiplash de Damien Cazelle
La souffrance, rien que la souffrance qui n’est que bénéfice. Pas de place pour les « lâches », Damien Chazelle n’a que très peu d’égards pour ce qu’il assimile presque à des « moins que rien », comme ce jeune musicien s’étant suicidé sous la pression autoritaire. Et l’émotion là-dedans ? Elle n’a que peu sa place ici. Sauf celle de la victoire. Whiplash dessine notre société d’aujourd’hui. La concurrence déshumanisante comme stimuli et leitmotiv. Des hommes et des femmes qui ne respirent que de grandeurs et d’ambition mais où l'effort paye toujours.C’est alors dans un final extraordinaire de tension musicale que Whiplash tire sa force de son propos jusqu’au boutiste pour symboliser l’apogée de toute cette satisfaction mutuelle dans la folie et dans la manipulation presque aimante et solidaire.
14 - 12 years a slave de Steve Mcqueen
Comme dans Shame, comme dans Hunger, Steve Mcqueen filme son univers désenchanté, sans presque aucune voie de secours, comme vision crépusculaire de l’enfer. Dans le cinéma de Mcqueen il y a toujours cette volonté de mettre en avant ce sentiment de liberté, cette volonté d’être confronter à ses choix, ce libre arbitre qui fait de nous des hommes, comme durant ce moment où la jeune et fragile Patsey lui demande de la tuer pour la libérer du calvaire que lui fait endurer Edwin Epps. Cela a le mérite de décaler le film de son carcan esclavagiste, pour dévoiler un film ambigu, humaniste et non manichéen, parlant de sujet tout aussi dur tel que la relation homme/femme. L’esclavage est un thème déjà utilisé jusqu’à sa moelle par le cinéma mais le talent de Mcqueen permet à 12 years a slave d’être un film atypique, frontal et déchirant. A l’image de cette scène finale, tant attendue, mais qui fait alors resurgir une émotion qui ne demandait qu’à exploser.
13 - States of Grace de Denis Cretton
De petites scènes de coloriages ou de rasage de cheveux deviennent de petits éclats dans un ciel obscurci. Bien évidemment, l’héroïne du film, Grace, connait elle aussi ses petits moments de doutes (sa grossesse), sa détresse (son père). Toutes ses faiblesses resurgiront notamment quand une nouvelle adolescente arrivera dans le foyer, dans laquelle elle s’identifiera comme dans un livre ouvert. States of Grace est un petit film sans ambition, qui ne triche pas, laissant s’appesantir cette tension sourde. L’œuvre prend le pouls de son environnement, préfère rester ancré au simple quotidien plutôt que de s’ensevelir sous la métaphore ou le symbolisme lourdingue. A l’image de la dernière anecdote concernant Marcus, States of Grace respire un espoir amusant.
12 - The Tribe de Miroslav Slaboshpitsky
La réalisation, quant à elle, tout en plan séquence immobile ou jalonné de sublimes travellings, laisse place à une certaine imagination, dévoile une mini société qui agit comme une meute, où chacun à sa place, son rang, ses droits et ses devoirs. Une société hiérarchisée qui comprend un chef puis des sous chefs à la tête d’un réseau de prostitutions où deux jeunes filles vont faire le tapin pour de vieux routiers pour espérer quitter le pays et se payer un passeport pour l’Italie. Comme l’était The Great Ecstasy de Robert Carmichael, The Tribe se dessine un peu comme le chant du cygne d’une certaine part de notre humanité, une jeunesse isolée qui marche par instinct dans une routine malaisante mais aussi terrible, où la condition des relations humaines primitives finira inévitablement dans une violence sourde et soudaine.
11 - Interstellar de Christopher Nolan
Avec Interstellar, Christopher Nolan décloisonne son cinéma, casse les barrières de l’intellectualisation froide de ses derniers scripts (Inception) habituellement surplombés par sa logorrhée explicative, pour aller cette fois ci dans des contrées à l'imaginaire scientifique émouvant. Avec Interstellar, Christopher Nolan ne met pas en scène simplement des scientifiques arc boutés sur leurs missions mais des individus qui répondront de leurs missions par leurs émotions, ce qui les guide vers l’humanité et leurs chemins de croix. L’amour d’une fille pour son père, celui d’un père pour sa fille. Rien de plus banal mais Christopher Nolan arrive à s’en accommoder pour faire de ce lien intemporel et stratosphérique, une relation en « 5 dimensions », un dialogue interstellaire inoubliable.
10 - Bird People de Pascale Ferran
Un homme, une femme plus jeune, la solitude nocturne, l’incompréhension, ça rappelle un peu Lost in Translation même si les deux films sont diamétralement opposés. Pascale Ferran, à la moitié de son film, change d’horizon, surnaturelle, « animale ». Au premier regard, on reste un peu perplexe, puis cette sensation de liberté de ton et de narration dégage une poésie salutaire sensitive qui procure beaucoup de plaisir. Certaines scènes aériennes font vaguement penser à celles d’Enter the void de Gaspar Noé. A ce moment, on divague, on vole, on surprend quelques discussions, Pascale Ferran ne surécrit pas ses personnages à défaut de trop montrer ses intentions. La petite étincelle du film est là devant nos yeux, le charme opère, c’est cette identification (personnelle) à ses deux protagonistes. C’est terriblement commun, ces deux personnages sont humains, défaillants comme tout un chacun, silencieusement en souffrance pour au final lever les yeux et retrouver le simple plaisir d'une main tendue.
9 - Eastern Boys de Robin Campillo
Avec sa caméra, Robin Campillo arrive parfaitement à filmer les lieux dans de petits espaces, à avoir un réel regard d’auteur sur les langages des corps et ses indications. Eastern Boys paraît limpide dans le cheminement de son écriture malgré ses quelques longueurs évitables notamment dans son troisième chapitre sur la romance entre les deux hommes. Eastern Boys est un film d’auteur français, moderne, parfaitement intégré dans sa période en proposant des sujets d’actualité comme celui d’être étrangers dans un monde contemporain ou du rapport de domination entre les hommes d’un point sexuel ou même patrimonial, en prenant des allures de films « monde » dans une dernière partie haletante.
8 - Heli d'Amat Escalante
Le plus effrayant voire le plus foudroyant dans Heli, c’est la distance avec laquelle Escalante fait résonner toute la cruauté de cette histoire, comme si cette violence n’était qu’un sentiment devenu familier ou quotidien dans les mœurs (les enfants qui regardent un homme torturé avec le plus grand détachement, le traitement de la vengeance personnelle) ou dans la culture populaire (les journaux télévisés pullulent de faits divers). Si Escalante sait se faire cinglant d’un point de vue explicite, il apprend à être tétanisant dans les non-dits. Que ça par soit l’imagerie presque nihiliste d’une jeunesse esseulée, avec un humour noir sagement dosé, d’une institution politique à la renverse, par un style volontairement agressif, Escalante offre une œuvre sans compromis, au rythme lent et presque silencieux, à l’aura crépusculaire parfois bouleversante avec un majestueux plan final innocent de jouissance dans un monde de terreur.
7 - Le Conte de la princesse Kaguya de Isao Takahata
Le conte de la princesse Kaguya est un conte triste sur la recherche du bonheur, une fable sur la pureté du souvenir, sur la fragilité de notre existence, une œuvre d’une liberté assez réjouissante, changeant d’allures à sa guise entre recueillement contemplatif et explosion volcanique, tout cela accordé par un dessin en perpétuel mouvement, à la fois simpliste et détaillé, clair et sombre. Graphiquement, c’est un plaisir immédiat pour les yeux, c’est d’une grâce insoupçonnée. Le conte de la princesse Kaguya nuance son propos, et sait ne pas tomber dans la routine, voyant un récit s’amuser d’une ironie grinçante notamment à travers ses personnages de probables maris puis d’une détresse sourde et inévitable pour basculer dans une dramaturgie existentielle dans son dernier tiers qui fait rejaillir tout un tas de questions qui s’éparpillent dans son esprit sur qui elle est réellement, sur ce qu’elle a vécu, sur le fait qu’elle ait vécu par procuration pour faire honneur à ses parents et non pour s’affranchir personnellement.
6 - Maps to the stars de David Cronenberg
Dans Cosmopolis, chaque chose avait une valeur mathématique. Dans Maps to the stars, chaque individu à un intérêt envers chaque individu. Chaque dialogue, concis et millimétré aux mots près, est impressionnant, montrant avec précision le gouffre vertigineux de la communication dans une société au quotidien irréel. Chaque personne communique à une autre pour parler de soi-même et pour savoir si l’interlocuteur peut avoir un intérêt matériel. L’autre est une projection du monstre qui sommeille en chacun de nous. La société n’est plus une communauté mais un réseau. Le passé prendra le pas sur la réalité, Maps to the Stars verra alors ses étoiles se fissurer, se consumer dans des flammes scintillantes où chaque personnage sera le pantin d’un scénario à la mythologie monstrueuse.
5 - Only lovers left alive de Jim Jarmusch
Parler du film sans mentionner la classe et le charisme de ses deux acteurs, serait ne pas rendre justice à Tidla Swinton et Tom Hiddelston. Ils forment un couple à la symbiose presque parfait à l’écran, duo fait de noir et de blanc, de pessimisme et d’optimisme, avec un côté poseur dandy presque magnétique. Derrière ce duo vampirique, se cache aussi une amertume, celle du réalisateur, qui se transpose presque dans le personnage d’Adam. Cette sœur turbulente qui vient de Los Angeles « la capitale des zombies », la peur de voir l’art dans les mains du succès et des conventions, ce monde où l’Homme vaporise ses denrées (l’eau), on y voit ici l’œuvre d’un artiste, qui ne comprend pas forcément le monde dans lequel il vit
4 - The Rover de David Michod
Après un séduisant Animal Kingdom, David Michod récidive avec son deuxième film The Rover qui nous plonge dans un monde post apocalyptique austère et fascinant. The Rover est un bloc, d’une unité jusqu’auboutiste, et d’une puissance visuelle étourdissante. Le réalisateur australien continue son périple s’intéressant à la sécheresse des rapports humains où tous les coups sont permis. The Rover est encore plus aride, plus nihiliste que son prédécesseur, tout en gardant les mêmes thématiques, notamment la définition et la loyauté de la famille dans un monde hostile. The Rover ne s’alourdit pas d’un scénario compulsif et blindé de rebondissements.
3 - Gone Girl de David Fincher
Comme depuis The Social Network, Fincher s’entoure du fabuleux travail sonore de Trent Reznor et Atticus Ross. A travers le récit de Gillian Flynn, le réalisateur ne réalise pas un simple polar aux multiples fenêtres, mais offre ici un récit envoutant aux nombreuses pistes de lectures sur les intentions et les manipulations de ses propres protagonistes, notamment durant une deuxième partie de récit, où un jeu du chat et de la souris va devenir un jeux de massacre où sans rentrer un délire schizophrène, le fantôme de Fight Club hantera l’esprit de Gone Girl : la destruction d’un univers pour l’auto construction d’un soi-même en parallèle avec la société de consommation et d’apparence.
2 - Her de Spike Jonze
Her parle avec intelligence d’innombrables thèmes comme celui la compatibilité esprit et corps, et de la matérialité des sentiments vis-à-vis de son impuissance physique. Cette solitude affective liée au désir habitant en chacun de nous n’est pas sans rappeler Shame de Steve Mcqueen. D’ailleurs ce qui est intéressant, c’est ce rapport entre l’humain et la technologie, qui par certains aspects, prend des tournures inattendues. Jonze écrit alors un film terrible de sensibilité, intelligent, une histoire d’amour inédite mais universelle, qui passe du chaud au froid avec facilité, jamais moralisatrice sur la condition humaine, filmant avec drôlerie et tristesse la solitude affective d’un homme qui ne demande qu’à s’affranchir des sentiments qui l’empêchent d’avancer. C’est juste l’histoire d’un homme qui veut enfin, commencer à écrire ses propres lettres.
1 - Under the skin de Jonathan Glazer
Cette jeune mante religieuse mutique, est l’alter ego de Jean, personnage du fantastique Sombre de Philippe Grandrieux, homme impuissant qui sillonnait les routes à la recherche de proie, de chair qu’il pouvait s’accaparer pour mieux la triturer dans un malaise incandescent. Le plus fascinant reste l’exposition même de cette actrice, de ce personnage à la beauté naturelle délicieuse. Under the skin est à l’image de Scarlett Johansson, d’une cohérence sans borne : un film objet, simple comme bonjour mais terriblement fascinant qui sort des sentiers battus, une vraie proposition de cinoche d’une beauté omniprésente.