De Rouille et d'Os - Jacques Audiard - 2012
Le cinéma de Jacques Audiard me parle. Considéré comme un des plus grands cinéastes français contemporains par certains (je me range dans ce camp, c'est pratiquement le seul qui m'intéresse aujourd'hui et qui arrive à me toucher) et comme le plus grand escroc hexagonal par d'autres, il peut néanmoins se targuer de concilier la plupart du temps reconnaissance critique et publique. De Rouille et d'Os n'est pas son meilleur film, c'est une certitude, mais il a su convaincre l'amateur que je suis. Faute à une introduction un peu laborieuse et à une conclusion un peu trop heureuse qui tranche avec ses meilleurs opus (Sur mes lèvres et De battre mon coeur s'est arrêté que je préfère même au pourtant très bon Un Prophète), il faut se contenter d'un entre-deux qui reprend des thématiques qui lui sont chères. Des personnages à fleur de peau cabossés par la vie et qui finissent par s'accomplir et s'épanouir au contact de l'autre. L'issue n'est pas la même que dans ses précédents longs métrages, qui étaient plus pessimistes, mais on peut par exemple trouver une résonance entre le personnage interprété par Marion Cotillard, qui souffre d'une perte de motricité, et celui d'Emmanuelle Devos dans Sur mes lèvres, mal-entendante. Idem du côté des hommes, le parallèle est assez facile entre Vincent Cassel et Matthias Schoenaerts.
Sur le papier, ces histoires peuvent faire peur et laisser à penser que la surcharge de pathos nous guette. Même pas. Si l'on écarte une introduction qui fait craindre le pire (le cassos du nord qui débarque chez une cagole méditerranéenne), le traitement du sujet (le handicap et la difficulté de retrouver goût à la vie) est assez brut, sans arrière pensée lacrymale, et surtout sensoriel, sans être chiant pour autant. Un équilibre fragile qu'Audiard parvient pourtant à maintenir pendant deux heures. La grande réussite du film, c'est incontestablement le personnage écorché vif de Matthias Schoenaerts, désarmant de naturel. A aucun moment, nous n'avons l'impression qu'il joue. Il est son personnage. Le rôle est pourtant casse gueule et il s'en tire à merveille, confirmant après Bullhead et cette année avec The Drop qu'il est sûrement l'un des acteurs les plus magnétiques découverts ces dernières années. Il aimante la caméra et les réalisateurs qu'il côtoie exploite toute son animalité, adjectif indissociable de ses prestations. A ses côtés, l'horripilante Marion Cotillard élève son niveau de jeu et même si on a envie de la baffer dans certaines scènes (principalement dans la première partie), c'est sûrement son meilleur rôle à ce jour. Le duo fonctionne.
Audiard ne livre pas sa meilleure copie technique à mes yeux même si ça ressemble bien plus à du cinéma que ce que livre 95% des tacherons que compte notre beau pays comme réalisateurs. L'usage de la caméra à l'épaule est assez raccord dans les scènes de combats clandestins, moins à d'autres moments. En revanche, lorsque le cadre est posé, et accompagné de la très belle BO d'Alexandre Desplat, on reconnait sa science des belles images. Même si je préfère le caractère de polar implosif de ses précédents films, De Rouille et d'Os est une belle réussite, certes plus dramatique, qui évite les méandres du misérabilisme auxquels il tendait pourtant la main. Il confirme ainsi son auteur comme un cinéaste important de notre époque. Un peu hautain lorsqu'il évoque son oeuvre, il peut légitimement se la raconter selon moi, car sa filmographie a plutôt belle allure et se distingue par sa qualité constante.
7.5/10