Projet intéressant que celui de convier trois réalisateurs aux univers respectifs aussi différents qu’ils sont marqués par leurs styles très personnels, pour composer un segment ayant pour thème la ville de Tokyo. Le moins que l’on puisse dire, vu les 3 bougres dont il est question, c’est que l’attente est à son comble au moment de presser le petit triangle de la télécommande afin d’initier la lecture.
En guise de bilan rapide avant de passer à la dissection clinique : c’est un peu la douche tiède pour Michel Gondry et Leos Carax tant les deux frenchies se font bouffer tout cru par le virtuose de la mise en scène qu’est Bong Joon-ho. Programmé en dernier, le segment du coréen fait l’effet d’un cachet d’inspiration à effet immédiat qui relève le niveau après l’incursion dans la mégalopole Tokyoïte un peu timide initiée par un Gondry que l’on a connu plus inspiré et un entracte punk à la limite du foutage de tronche livré par l’indomptable Carax. Dissection sans transition des trois propositions.
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INTERIOR DESIGN | par Michel Gondry | 6/10
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Commençons par le doux rêveur du groupe, celui dont on attend forcément une envolée plastique à sa mesure, pleine de couleurs et d’idées saugrenues. Il n’en est malheureusement rien, si le thème de Gondry a un indéniable potentiel, l’homme peine à lui trouver dialogue à sa mesure. Émane de ses images une hésitation constante, une fébrilité dans la mise en scène, qui alterne le banal et quelques bonnes idées, comme cette prise vue du dessus d’un petit appartement laissant entrevoir, le temps d’une bonne initiative, les trois humains qui y cohabitent. Mais finalement, à part quelques idées du même acabit, Gondry n’exploite que très peu Tokyo et s’échappe même de la ville dès qu’il le peut, en bifurquant finalement vers une expression plus large de la solitude, thème que l’on retrouvera dans la partie de Bong Joon-ho, qui lui par contre, prendra bien plus appui sur la culture japonaise et ses spécificités pour le développer. Au final, « Interior Design » n’est pas inintéressant, loin de là, mais se révèle être un peu trop générique. Il lui manque la bonne idée, et narrative, et formelle, pour se faire plus marquant.
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MERDE | par Leos Carax | 5/10
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Pour succéder à cette histoire douce amère inoffensive, Leos Carax sort la dynamite et choisit de prendre le sujet à rebrousse poils. En revisitant à sa sauce le film de monstre à l'occasion d'un clin d’oeil au mythique Godzilla, par l’intermédiaire de Mr Merde, un personnage qu’il réutilisera avec plus de réussite dans le très chouette Holy Motors, l’auteur fait preuve de tout son culot et se laisse aller aux excentricités les plus folles pour tenter une mise en perspective chaotique de la peur de l’inconnu. Si l’intention est louable, l’exécution est beaucoup plus discutable, à de nombreuses reprises il est bien difficile de choisir entre rire et gêne tant l’ensemble fait l’effet d’une caricature presque moqueuse d’un Japon que l’on assassine à coup d’idées reçues. Il manque à ce trip sous lsd un peu de nuance et un soupçon de subtilité dans l’écriture, le procès, par exemple, étant le reflet peu flatteur d’une idée sympathique dont le potentiel laissait espérer une envolée en matière de mise en scène qui ne vient jamais. Quand Lavant, que l’on a connu bien meilleur, lance à ces sales bridés qui l’accusent qu’il ne fallait pas niq*er sa mère, l’envie d’en finir se fait féroce. Comme quoi, vouloir tout foutre en l’air ne suffit pas, encore faut-il savoir doser l’attaque.
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SHAKING TOKYO | par Joon-ho Bong | 9/10
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Alors que l’ambiance est au plus mal après le brûlot virulent de Carax, Bong Joon-ho entre en scène. L’enfant terrible de la Corée du sud, cet adepte du grand écart de style, capable d’enchaîner les belles réussites à l’occasion d’un thriller intimiste (Memories of murder), d’une tranche de vie sociale dépressive (Mother) ou encore d’un film de monstre malin (The Host), est de ceux dont on attend toujours plus, bien curieux d’assister à nouvelle appropriation d’un genre qu’il n’aurait pas encore investi. Et contre toute attente, c’est armé d’une subtilité farouche, d’une sensibilité à fleur de peau qu’il choisit de conter Tokyo. Comme Gondry, c’est la solitude qu’il prend comme point de départ. Mais où le français n’était pas parvenu à enclencher la seconde pour exploiter ce matériau émotionnel et construire une histoire plus dense, Bong Joon-ho, lui, crée un univers à part entière pour en tirer le meilleur. Des traits inquiets de son hikikomori, il puise toute la puissance émotionnelle qui lui permet de faire basculer son film lors d’une dernière partie dont transpire une poésie charmeuse.
Une nouvelle fois, ce qui impressionne de la part du bonhomme, c’est cette facilité avec laquelle il met en place un univers cohérent dont émane une maîtrise technique de chaque instant. Pas évident d’imposer ses objectifs dans un espace aussi réduit qu’un mini appartement très encombré et pourtant, jamais l’étroitesse du lieu qu’il met en images ne se fait sentir. Propulsant sa simple, mais touchante histoire, au moyen d'un sens du cadre à toute épreuve, et d'une maîtrise de la lumière virtuose, il pare son segment d’une esthétique chaleureuse qui accompagne parfaitement la douceur ambiante associée à la mélancolie du thème qui l'intéresse.
En bon optimiste, c’est par une grande goulée de positivisme qu’il conclut son propos. L’amour comme pilule miracle, c’est certes très classique, mais quand c’est fait par Bong Joon-ho, c’est aussi poétique qu’un vélo sorti d’une cachette après que mère nature se soit fait les lianes autour pendant 10 ans ou qu’une âme en perte de répère que l’on séduit en décryptant ses tatouages comme on dégomme un big boss à Super Mario Bross. Tout en subtilité, tout en symbolique, avec douceur, beaucoup d’idées et un sacré sens de la mise en scène. Et le plus remarquable dans tout ça, c’est qu’à aucun moment, on vient à espérer que le court métrage ne mute en long, Bong Joon-ho maîtrise la durée de son segment à la perfection, prend le temps de dire tout ce qui le démangeait, sans aucun bout de gras, ni oubli.
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C’est sur un petit nuage que j’ai parcouru le générique final, les mirettes encore sous le charme des couleurs sucrées de Shaking Tokyo, le segment d’un projet très intéressant qui me restera probablement longtemps en tête. Désolé pour les copains «bleu, blanc, rouge» qui n’ont pas démérité, mais pour le coup, c’est victoire par K.O pour le coréen.