Interstellar - Christopher Nolan - 2014
Enfin débarrassé du fardeau de la trilogie Dark Knight, dont le troisième opus sent déjà bien le formol deux ans après sa sortie, Christopher Nolan était attendu au tournant. Interstellar arrive à point nommé, gaulé comme un avion de chasse si l'on en croit sa promo qui a su surfer sur la hype et le succès de Gravity l'an dernier. Co-écrit avec son frère Jonathan, le film surprend et ose prendre une direction peu orthodoxe pour un blockbuster de ce calibre. Ceux qui fantasmaient une nouvelle référence contemporaine en matière de SF en seront pour leurs frais, c'est sur le terrain de l'émotion qu'Interstellar séduit et se révèle audacieux. Pessimiste, anti-spectaculaire et donc bien loin du moule formaté des studios, il aura su me toucher comme peu d'autres films cette année. Passée une phase d'exposition qui fait le job, Interstellar prend son envol en même temps que la fusée qui conduit ses personnages vers de nouveaux univers et leur objectif de sauver l'humanité, condamnée à disparaître de la surface de la Terre, devenue un tombeau à ciel ouvert.
Pendant 90 minutes, mon intérêt pour le récit n'a cessé de s'accroître. Si on fait fi de théories scientifiques qui ne pourront jamais faire l'unanimité - et de toute façon c'est le propre du genre de tutoyer la véracité en la teintant d'une part plus ou moins conséquente d'anachronisme - et qui ne manqueront pas d'exciter la planète entière, il y a de quoi être pris au dépourvu lorsque le film vous expédie brusquement dans les cordes au détour de scènes chargées d'émotion. Une séquence comme celle au cours de laquelle Cooper découvre les messages qui lui sont destinés et enregistrés depuis 20 ans, c'est tout con mais ça bouleverse. On attendait pas vraiment Nolan sur ce terrain. Visuellement inspiré - merci les nombreux plans live et la très belle photo de Hoyte Van Hoytema - shooté en 70 mm, Interstellar tranche avec la nouvelle génération de blockbusters et tente à sa manière de tisser un lien avec une certaine idée de l'âge d'or.
Jusqu'ici tout va bien, le rythme est parfaitement maîtrisé, Hans Zimmer et son manque de subtilité légendaire souligne à merveille les images ainsi que le récit et côté casting, Matthew McConaughey continue de marcher sur l'eau. Fort de ses performances des dernières années, il est définitivement entré dans la cour des grands. La quarantaine lui sied à merveille. Mais qu'est-ce qui cloche alors? Et bien, la dernière heure... A partir du moment où Matt Damon (agaçant) sort de son bac à glaçons, tout part en sucette. On a le sentiment que Christopher se réapproprie brusquement le script et retombe dans ses travers. Exit l'anti-conformisme, place à la surenchère et à un traitement pompeux qui font resurgir les vieux démons du passé. Plus les minutes défilent, et plus la gêne s'installe. Sur-explicatif au possible, l'épilogue se noie dans un marasme narratif qui vient briser toutes les belles promesses entrevues jusque là. La scène de la bibliothèque, c'est juste une des plus grosses couleuvres que le cinéma aura tenté de nous faire avaler ces dernières années. Ou comment avoir le sentiment d'être pris pour un demeuré alors que tout ou presque avait réussi à nous flatter jusque là. Eureka putain! Grâce à cette écriture complètement ampoulée dans son dernier acte, Interstellar se dépareille de toute ambiguïté. Au moins, ça nous fera gagner du temps et nous évitera d'avoir à interpréter quoi que ce soit. Quel gâchis... Jusque là tenu en laisse, le casting féminin devient énervant au possible, entre une Anne Hathaway qui ne fait que chialer (Cotillard style) et une Jessica Chastain qui semble avoir cassé le talon de son soulier de critstal, elle qui s'était forgée une solide filmographie dernièrement. Le pessimisme laisse place à un optimisme béat et dénué de toute inspiration (Nolan qui recycle Inception, au secours!). Au final, il faut faire preuve d'une grosse dose d'indulgence pour occulter ce foirage en règle. Interstellar, c'est tout et son contraire. Une expérience à vivre, à même de vous emporter dans un tourbillon ennivrant, mais qui vous pète in fine en pleine tronche, comme une vieille grenade mal dégoupillée. Pour toutes les belles émotions qu'il m'aura fait vivre, je remercie Nolan et c'est ce que je vais retenir du film. Mais pour avoir massacré de la sorte un potentiel chef d'oeuvre, j'ai envie de la conspuer éternellement. Rageant.
6.5/10