DRIVE
Nicolas Winding Refn - 2011
On ne rappellera jamais assez l'importance de l'état d'esprit dans lequel on se trouve dans l'appréciation d'un film. Ayant pourtant pour habitude de rester hermétique au plan médias d'un film ou de sa réception critique et public, je dois admettre que ma première rencontre avec Drive a très nettement été handicapée par ceux-ci. J'avais purement et simplement détesté. Alors que tout le monde vantait un chef d’œuvre révolutionnaire, j'avais seulement l'impression de me trouver face à un film singeant le polar américain des années soixante-dix quatre-vingt, à l'image du Driver de Walter Hill, du Solitaire et du Manhunter de Michael Mann ou encore de l'indispensable To Live and Die in L.A de l'immense William Friedkin. Ainsi, ayant pris le film en grippe, je lui trouvais tout les défauts du monde : maniéré, dénué de sincérité et donc d'émotion, de mauvais goût, arty, hype,... Avec le temps (et la découverte réjouissante de Only God Forgives), j'ai commencé à douter de ma première impression. Après tout, ce que je reprochais au film était aussi ce que reprochait d'autres curieux de cinéma lorsque Tarantino a livré ses premiers films et, même si je comprends leurs arguments, cela ne m'empêche pas d'adorer certains films du cinéaste. Conscient de m'être sans doute trop pris au sérieux et de m'être peut être laisser aller à une forme de posture consistant à prendre le contre pied de l'avis général (une posture de petit con si vous préférez), c'est avec l'envie de redonner entièrement sa chance au film que j'ai décidé de revoir Drive et le verdict est clairement plus positif.
Le film s'ouvre par une scène de braquage absolument géniale où, avec très peu d'éléments, Refn parvient à instaurer une tension palpable uniquement par la force de sa mise en scène. Utilisant pour seuls dialogues les communications radios de la police, il nous entraîne dans une course poursuite haletante dans un Los Angeles nocturne. S'ensuit la découverte de ce chauffeur taciturne, cascadeur et garagiste le jour, et de son quotidien où fait irruption sa nouvelle voisine. Alors que l'on pourrait s'attendre à assister à un énième film de gangster classique, avec l'histoire du projet de stock car du personnage de Cranston, Refn montre rapidement qu'il ne s'intéresse pas à cela. Ce qui le fascine, c'est ce personnage ambiguë, autiste et insaisissable. Tout au long du film, son comportement se révèle indéchiffrable. On comprend qu'il a surgit dans cette ville de nulle part, « out of the blue », et il en repartira comme il y est arrivé. Mais c'est sa relation avec Irene qui symbolise le plus ce côté double face. En effet, on ne parvient jamais à déchiffrer la nature de leur relation. Sont-ils tombés réciproquement amoureux sous l'effet d'un coup de foudre ou le conducteur joue t'il un rôle ?
Au risque de tomber dans la psychanalyse facile, il est désormais un lieu commun de voir dans la voiture un symbole phallique dont la puissance refléterait la frustration sexuelle de son propriétaire. Cela n'est pas forcément indissociable de notre Driver, personnage fasciné par la violence et la puissance. Derrière ses apparences fades et calme se dissimule un bouillonnement de rage et de colère qui ne demande qu'a s'exprimer à la première occasion. Il est obsédé par l'idée de s'affirmer et ne perd pas une occasion de jouer les caïds en en reprenant les codes : il prend de haut les membres de la mafia qui le finance, les défiants, pose ses conditions, menace, comme s'il voulait compenser son autisme en affirmant sa puissance. Ainsi, sa relation avec Irene devient ambiguë : est-il sincèrement amoureux et altruiste, en étant prêt au sacrifice pour assurer la tranquillité de la femme qu'il aime ou cherche t'il juste un soupçon d’adrénaline dans ce projet de casse et à affirmer sa virilité en protégeant cette famille comme un sauveur divin ? C'est la scène de l'ascenseur qui distille le doute. En effet, au moment où les deux personnages s'embrassent, si il est clair que Irène vit ce moment intensément, en l'ayant profondément désiré, le « Driver » semble au contraire utiliser cela comme un moyen de duper son adversaire en détournant son attention. Dans ce moment où ils sont sensés ne faire qu'un, les personnages n'ont pourtant jamais semblé aussi séparés. Alors, personnage égocentrique obsédé par l'affirmation de sa puissance et domination ou amoureux maladroit, handicapé par son autisme et ses démons intérieurs ? Le film prend soin de ne pas y répondre, bien que l'on ait envie de croire en la seconde hypothèse.
On peut aussi voir dans ce personnage de sauveur prophétique venu d'ailleurs la projection du propre fantasme de Irène qui trouve dans ce voisin apathique une solution à son quotidien triste et sans espoir, perdue dans une ville immense avec un jeune enfant et un mari ex-taulard pour qui, on le devine, elle ne ressent plus grand chose.
Il ne se passe au final pas grand chose dans Drive. Tout est une question d'atmosphère, d'ambiance. Ainsi, pour être convaincu par le film, il faudra se laisser happé par la mise en scène de Refn et sa mélancolie urbaine soutenue par une bande originale qui, si elle souligne peut-être de façon parfois grossière les sentiments des personnages, est clairement indispensable à l'univers mis en place. Mais, gros point faible du film, c'est sans compter sur le jeu de Ryan Gosling qui handicape grandement l'implication que l'on peut avoir dans le film. Drive est presque un cas d'école tant il démontre qu'un mauvais choix d'acteur peut foutre en l'air beaucoup des effets d'un film. C'est bien simple, son manque de charisme fait que tout fini par sembler faux et risque à tout moment de verser dans le ridicule. La scène du bar où il envoie bouler un mec le reconnaissant à ce titre révélateur : on se croirait dans un mauvais feuilleton AB productions. On a l'impression de voir un enfant ayant revêtu des vêtements trop grands pour lui et tentant maladroitement de convaincre. Alors, ce côté décalé et fade correspond finalement assez bien à l'un des aspects du personnage, mais le met, il me semble, beaucoup trop en avant et menace de faire basculer le film a tout moment dans le ridicule le plus complet. On ne peut que regretter que le film ne se soit pas monter avec un autre acteur, à l'image d'un Michael Fassbender ou d'un Tom Hardy qui auraient su apporter toute l'ambiguïté nécessaire. Dommage car le reste du casting est plutôt bon, mention spéciale au parfait Bryan Cranston et au toujours sympa Ron Perlman.
Ainsi, Drive est encore trop marqué par ses « origines ». A la base produit formaté par Gosling pour créer sa propre légende, on ne sait pas si c'est par génie ou maladresse que le projet s'est retrouvé entre les mains de Refn, cinéaste qui, il y a encore peu de temps, était au plus mal de sa forme, obligé de mettre en scène un épisode de Miss Marple. On ne saura jamais si Gosling avait conscience, en venant le chercher, des possibilités artistiques de ce scénario au final assez bateau où si il cherchait un simple yes man dont la réputation était en train de se redorer en Europe. Toujours est il que de cette ambiguïté hérité des origines du projet découle un film hybride, remplis de bonnes idées mais malheureusement handicapé par une trop grande retenue, un côté parfois trop « contrôlé » qui empêche le film de décoller. Refn n'a probablement pas eu les mains entièrement libre en récupérant ce projet, mais il se vengera d'une manière assez géniale en déconstruisant l'icône qu'il avait crée dans son film suivant.
En l'état, Drive reste une très sympathique série B, portée par un romantisme et une mélancolie qui pourront sembler niais à certains mais qui parvient pourtant à convaincre en bout de course. C'est finalement tout ce qu'on lui demandait. Cette révision m'aura donc servie de leçon : on a toujours tort de se prendre trop au sérieux.
7/10
Avis précédent.