Ça se regarde avec toujours autant de plaisir.
Je ne vais pas énumérer les différentes références contenues dans le métrage, d'autres personnes bien plus érudites s'en étant chargé avant moi. Le tour de force de Tarantino, c'est d'avoir digéré ces différentes influences pour les assembler en un tout cohérent et homogène, tous les différents genres abordés (western, kung fu, film de sabre, yakusa, manga) ayant abordé le thème de la vengeance. Ce métissage renforce l'aspect fantasmatique d'un univers peuplé de super-assassins, où des emplacements sont prévus pour ranger son sabre dans les avions, où les mères de famille cachent des flingues dans les paquets de céréale, où l'on peut se remettre à marcher rien qu'en demandant à ses orteils de remuer, où un massacre dans une maison de thé se poursuit sans l'intervention de la police...
Kill Bill adopte une structure non-linéaire qui permet d'étoffer cet univers (cf. les flashbacks sur la jeunesse d'O-Ren Ishii) et revenir au fur à mesure du récit à la fois sur le passé des personnages et sur la scène centrale du diptyque, le massacre de l'Eglise des deux pins. L'idée de conceptualiser une séquence sous forme de film d'animation est assez culotée. Ce flashback est bien amené via des photos qui se transforment en dessins d'O-Ren, et permet de préparer aux geysers de sang qui seront exploités plus tard dans la partie "live".
Ce nouveau visionnage m'a permis de découvrir ou redécouvrir des petits détails qui viennent enrichir les personnages, comme cette photo que Hanzo regarde lorsqu'il évoque Bill et suggère un passif entre les deux, ou encore la relation intime que Bill entretient avec chacune des Deadly Vipers ou Sofie Fatale et qui laisse supposer qu'il a à un moment donné couché avec chacune d'entre elles. Le plan où The Bride efface jusqu'à la plus petite trace du nom de Bill tracé sur la vitre par Hanzo est, quant à elle, parlante sur ses intentions.
Comme à son habitude, Quentin Tarantino injecte pas mal d'humour dans son scénario, que ce soit par le dialogue (le shérif qui qualifie l'héroïne de "
blood-spattered angel" avant de la traiter de "
tall drink of cocksucker" lorsqu'elle lui crache du sang au visage) ou bien par l'image (quand O-Ren se précipite sur un des boss pendant la célébration pour le décapiter et que le corps n'arrête pas de pisser le sang, j'ai lâché un gros éclat de rire). Ce qui ne l'empêche pas de faire place à l'émotion lorsque The Bride se réveille de son coma pour constater qu'elle a perdu son enfant.
Tarantino réalisateur de film d'action, c'était loin d'être une évidence à l'annonce du projet. Force est de constater qu'il s'en sort magistralement, que ce soit lors des mano a mano (Black Mamba vs Copperhead, le duel contre O-Ren) ou bien lors de la grosse orgie sanglante de la House of Blue Leaves. Le réalisateur déploie toute une grammaire cinématographique parfaitement maîtrisée: split-screen lors de la présentation d'Elle Driver, animation, noir et blanc, plan-séquence qui suit Sofie Fatale dans la maison de thé, ralenti de la mort lorsque The Bride coupe les tendons d'Achille de Buck, contre-plongée sur les assassins dans l'église, dé-zooms violents lors de l'arrivée en renfort des Crazy 88's, plongée extrême pour dévoiler la topographie de la maison de Vernita Green ou la position de l'héroïne par rapport à ses assaillants... Sans oublier d'astucieuses idées de montage, notamment ce gros plan sur les yeux de The Bride qui alterne avec des plans des Crazy 88's arrivant des quatre coins du décor...
Soutenu par une BO énormissime, il signe de purs moments de cinéma, parmi lesquels l'arrivée de The Bride à Tokyo montée en parallèle avec celle de O-Ren à la House of Blue Leaves, la cérémonie de remise de sabre sur du Zamfir ou bien le plan-séquence depalmesque dans cette même maison de thé. Tarantino fait un usage efficace de la dilatation temporelle "léonienne" en retardant le plus possible le moment où The Bride et O-Ren croisent le fer après s'être longuement jaugées (un procédé repris dans le volume 2 lors du combat contre Elle Driver). La mise en scène de QT vient iconiser ses personnages, les rend plus grands que nature, à commencer par Uma Thurman qu'il rend parfaitement crédible en tueuse spécialiste des arts martiaux. Quant à Bill, dont ne on verra que les mains, ses quelques répliques associés à la voix de David Carradine lui confèrent un magnétisme incroyable.
Difficile de parler de Kill Bill sans évoquer sa BO qui mélange Johnny Cash, Quincy Jones, Bernard Herrman, Ennio Morricone, Zamfir ou bien Meiko Kaji . Elle complémente à merveille les images composées par le cinéaste et renforce l'aspect hybride de cet univers. Mieux, Tarantino a le don pour rendre indissociable certaines séquences de la musique qui l'illustre. Difficile aujourd'hui de ne pas penser à Kill Bill lorsqu'on entend le thème de
Twisted Nerve ou celui de Battle without Honor or Humanity. A tel point qu'on pourrait croire qu'ils ont été composés spécialement pour ce film.
En créant Kill Bill, Tarantino s'est fait plaisir en revisitant tout un pan des oeuvres qui l'ont marqué et nous fait plaisir par la même occasion. La dernière scène entre Bill et Sofie Fatale constitue un cliffhanger idéal. Ce volume 1 représente une brillante introduction parfaitement rythmée, qui file droit au but et prendra tout son sens avec le complémentaire quoique diamétralement opposé Volume 2.