12 YEARS A SLAVE++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++Steve McQueen (2014) |
7/10++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ On retrouve dans 12 years a slave la verve virulente de Steve McQueen, et son audace à afficher plein cadre ce que d’autres suggèrent habituellement, la violence et le décharnement des corps en particulier. Dans la suite logique de ses deux premiers long-métrages, il continue de mettre à mal l’humanité et son véhicule corporel en malmenant ce dernier jusqu’à lui ôter tout souffle de vie. Jouissant, pour imprimer sur bobine la puissance de ses plus âpres séquences, d’un savoir-faire insolent, le jeune cinéaste poursuit sa quête de l’esthétisation de la douleur, et y parvient sans fléchir, n’hésitant pas pour cela à faire durer ses séquences, à poser sa caméra pour filmer l’horreur, l’exercice atteignant son paroxysme lorsque le pauvre Salomon peine à avaler quelques goulées d’air, en équilibre instable sur la pointe de ses deux pieds tremblants.
Si tout le monde s’accorde sur la beauté formelle de 12 years a slave, il semblerait que son fond dérange un peu plus. Entre ceux qui défendent un travail de mémoire légitime et ceux qui se bloquent devant l’absence de prise de position réelle du réalisateur sur un thème sensible, il est difficile d’entendre les voix plus tempérées. Je me trouve pour ma part dans un entre deux modéré, convaincu par la note d’intention, un peu moins par son traitement, ampoulé par un casting parfois approximatif et une gestion temporelle maladroite.
C’est à mon sens tout ce qu’on peut reprocher à 12 years à slave, qu’illustre tristement ce passage cabotin d’un Brad Pitt qui s’est trompé de casquette ainsi que la proposition un peu juste de Chiwetel Ejiofor. L’acteur manque en effet d’épaules pour transporter sa prestation dans une autre dimension, celle dont on se souvient. Sa proposition, un peu trop unidimensionnelle, couplée à une narration qui ne parvient pas à dompter le temps qui passe, à faire ressentir les 12 années qui ont maintenu son personnage captif, empêche ce sentiment d’empathie que l’on devrait ressentir lors du final. Final expédié par ailleurs bien trop rapidement, preuve que la conclusion n’était pas spécialement ce qui intéressait McQueen.
Non, ce qui l’intéresse ici, et c’est déjà ce qui l’animait dans Hunger et Shame, c’est la perte de cette dignité qui fait de l’homme un être conscient de lui-même. Quand McQueen choisit d’adapter 12 years à slave, récit autobiographique qui relate le kidnapping d’un homme noir libre, il choisit de traiter bien plus de la privation d’une liberté qui semblait acquise, de la prise de conscience d’un homme libre jusque là préservé des ravages de l’esclavage, que de cette condition sociale révoltante à proprement parler.
Il n’est finalement pas question de traiter de l’esclavage au sens large du terme puisque le personnage même de Salomon ne s’y associe jamais lui même. La preuve en est que l’ex-homme libre semble penser qu’il mérite moins sa condition que les autres esclaves avec qui il vit, tout simplement parce qu’il n’est pas né avec les chaînes aux pieds. C’est uniquement son expérience traumatisante, et la prise de conscience qu’elle provoque, qui le pousse à se révolter contre l’inacceptable.
Choisir de ne pas traiter de façon plus frontale cette période noire de l’histoire est à mon sens une vraie prise de risque, et si McQueen manque le coche, c’est de peu, et peut être parce qu’il a été moins libre pour ce film (simple supposition, mais émane de l’ensemble quelques choix pas forcément homogènes). Dommage que le fort potentiel à l’origine de cette fresque audacieuse soit en partie gâché par des acteurs pas toujours inspirés (mention spéciale à Brad Pitre et Paul Dano), un lead qui peine à véhiculer du sentiment et une écriture un peu trop linéaire, qui perd en chemin toute la force de ses thématiques avant de s’embourber dans un final qui donne raison à ceux qui reprochent au film sa courbure oscarisable. J’y vois pour ma part l’aveu de faiblesse d’un réalisateur qui s’est un peu laissé dévorer par son ambition, ou par les hommes à qui il l’a confiée. Mais je n’oublie pas une seule seconde la fougue de sa mise en scène ainsi que ce rapport au corps dont il fait preuve une nouvelle fois et qui lui est si particulier.
Un très bon film manqué de peu, en somme, qui brille par intermittence, rappelle le talent évident de l’homme aux commandes autant qu’il confirme qu’un trop plein d’attention peu parfois être dommageable. Espérons que l’insaisissable McQueen ne continuera pas à se laisser apprivoiser.