Pour fêter mon retour à l'écriture, j'ai critiqué un truc assez spécial, vous comprendrez vite.
The Story of Joanna - Gerard Damiano (1975)
On a une image souvent faussée du porno : moyens ridicules, mise en scène inexistante, acteurs mauvais et scénario anecdotique, ça c'est a peu près l'idée reçue. Pourtant il fut un temps où certains réalisateurs ont cru au genre au point de penser les films comme de véritables œuvres de cinéma. Cette période se concentre essentiellement du début des années 70 au début des années 80 (avec un déclin qualitatif né de l’émergence de la vidéo qui réduisit de façon drastique les coûts de production), mais avant ça la pellicule était reine et pour peu qu'on avait un bon chef opérateur, certains boulards avait plus de gueule que pas mal de films "mainstream" et Story of Joanna fait partie de cette catégorie.
Faut dire que Gérard Damiano, des quelques films que j'ai pu voir de lui, est un véritable auteur du cul nu, pour qui la chignole n’était pas une fin en soi à une époque où la société américaine vit une véritable révolution, proposant de vrais portraits d'hommes et de femmes souvent déçus du sexe, pour qui la "libération" se fera dans les expériences charnelles totales (pas la peine de faire un dessin ^^). Malgré tout, il gardera une vision assez pessimiste et sombre des rapports humains où l'épanouissement sexuel n'est pas synonyme de bonheur, les hommes et les femmes étant éternellement voués à souffrir ensemble, car incapables de se comprendre (cf le superbe plan final de l'Enfer pour Miss Jones). De la souffrance, il n'y a que ça dans Story of Joanna, Damiano ayant voulu adapter sans succès le roman Histoire d'O, imagine donc l'histoire d'un riche jeune homme (joué par le remarquable Jamie Gillis) apprenant qu'il n'a que peu de temps à vivre et va convaincre une jeune femme innocente de le suivre dans son château pour assouvir ses lubies extrêmes. Là où le film surprend, c'est le temps qu'il prend pour installer son histoire et attend une bonne demi-heure pour rentrer dans le vif du sujet, proposant des dialogues teintés de philosophie touchante sur les rapports humains (même si l'écriture est parfois un poil pompeuse, comme Cartel), où le ton est donné, l'homme ne donnera pas l'ombre d'un égard pour la femme, alors qu'elle ne demande qu'a s'offrir à lui et l'aimer ("Ne peut on espérer l'amour?" demande t'elle. "Non. Si tu attends de moi que je t'aime en retour tu me fais perdre mon temps" répond l'homme). Difficile de faire plus éloquent.
Un récit cruel donc, teinté de sado-masochisme où la mise en scène précise de Damiano sert à merveille l'aspect tragique de l'histoire, dont je retiens un superbe plan très "Barry Lyndonien" avec un plan séquence d'une ballade dans un jardin où les acteurs sont cadrés via un long dézoom au téléobjectif révélant au fur et à mesure l'immensité du décor. Les moyens sont là et jamais à un moment on vient mettre en doute la qualité de fabrication du film. Les acteurs sont très bien choisis, Jamie Gillis prouve en une seule scène qu'il était un vrai comédien quand on le dirigeait, capable de jouer avec son regard, nous faisant comprendre la détresse de son perso et pareil pour Terri Hall, la Joanna du titre, en plus d'être bien foutue, elle arrive à garder une certaine candeur sur son visage, crédibilisant plus que jamais ce film. Pourtant, malgré son statut de "chef d'oeuvre" du porno, je lui trouve bien plus de défauts que l'Enfer pour Miss Jones, outre la similarité entre les deux films (qui restent des récits d'initiation avec une tonalité macabre), j'ai trouvé Damiano bien moins inspiré sur les scènes de cul, les enquillant de manière déséquilibrée, alors que pendant 30 minutes les comédiens ne se déshabillent pas, ensuite c'est open bar et l'histoire se perd peu à peu au profit de scènes moins virtuoses (même si fidèle à lui-même, Damiano refuse les gros plans gynécologiques interminables), le tout étant rattrapé par une conclusion surprenante car assez imprévisible et toujours sombre.
Mais je ne serais pas bougon, un film de cette qualité dans un tel registre filmique, ça relève de l'exploit qu'il serait bien triste de le bouder. Pour peu qu'on ait l'esprit ouvert et qu'on soit authentiquement intéressé par toutes les facette de l'histoire du cinéma, qu'elles soient plus ou moins avouables, je conseille vivement le travail de Gérard Damiano qui pourrait en surprendre plus d'un, vous voilà prévenus !
7,5/10