Quand Vient la Nuit - Michael R. Roskam - 2014
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Si vous cherchez de l'objectivité, passez votre chemin. Ici, la raison n'a pas lieu d'être, c'est le cœur qui parle. Le réalisateur belge Michael R. Roskam m'a offert une de mes plus belles découvertes de l'année 2012 avec Bullhead. Deux ans plus tard, il a franchi l'Atlantique et revient à la tête de The Drop et c'est peu dire que j'ai une nouvelle fois pris un pied monstre. Qui plus est dans un genre qui me parle totalement. On est dans une telle période de vaches maigres en matière de films noirs, que ce fut un vrai plaisir de déguster ce polar carré, à même de ravir les puristes. Mon film de l'année incontestablement, à moins que le dernier prétendant qui me fasse de l’œil (A Most Violent Year de J.C. Chandor) ne vienne le coiffer au poteau. Roskam transforme ainsi l'essai de la plus belle des manières et se retrouve avec le privilège de croiser sa caméra avec un script de Denis Lehane, l'auteur de Mystic River, Gone Baby Gone et Shutter Island, excusez du peu. Il débarque avec son directeur photo et l'acteur principal de Bullhead, et a donc pu bénéficier d'une certaine latitude pour imposer sa patte. 50% Lehane, 50% Roskam, The Drop est un plaisir de tous les instants. La Belgique nous fait une fois de plus la nique pendant que nous on envoie nos branquignols hexagonaux comme Guillaume Canet, le génie adulé pour le téléfilm Ne le Dis à Personne, remaker des trucs déjà pas bien fameux à l'origine (Blood Ties).
La qualité première de The Drop, c'est incontestablement son casting. Je n'ai jamais fait partie de ses plus grands fans, mais pour le coup, Tom Hardy est absolument énorme dans le rôle de ce barman en contrôle permanent qu'on sent bouillir intérieurement. On sait qu'il porte un fardeau très lourd et pourtant, sa retenue de tous les instants et son respect pour les autres et la vie en général en font un personnage intriguant. Cette forme de réserve qui le caractérise se ressent par ailleurs dans la façon dont Roskam le filme. Bien qu'omniprésent à l'écran, il se retrouve dans la première partie du film fréquemment en arrière plan, voire en partie exclu du cadre, histoire de mieux nous faire comprendre qu'il ne veut surtout pas faire de vagues. Et quelle excellente idée de lui avoir collé dans les pattes Matthias Schoenaerts, parfaitement à sa place et totalement raccord avec le ton du film. Leurs scènes communes, autant duels psychologiques que séances d'intimidation, voient leur impact décuplé par la gémellité des deux acteurs. Deux monstres de charisme taillés dans le roc et dont Roskam exploite toute l'animalité. C'était déjà un thème majeur de Bullhead et il revêt également une importance certaine dans The Drop, encore plus quand on se remémore que le titre initialement prévu pour le film était Animal Rescue. Deux niveaux de lecture donc, un au sens propre avec la storyline du chiot abandonné mais aussi cette thématique figurée autour de ses hommes qui se jaugent et se défient constamment, tels des fauves en pleine savane.
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Et les réjouissances du casting ne s'arrêtent pas là. James Gandolfini nous gratifie de son chant du cygne et c'est juste beau. Si on pousse un peu le bouchon, on pourrait presque imaginer que la destinée de son personnage aurait très bien pu être celle de Tony Soprano passé le générique de fin de l'ultime épisode. Ici, il trouve un rôle qui lui colle à la peau, lui qui n'a jamais réussi à s'accomplir tel qu'il l'imaginait et qui se retrouve condamné à vivre à la solde de mafieux tchétchènes, aujourd'hui propriétaires de ce qui fut autrefois son bar, dont il n'est plus que le simple tenancier. Ces derniers apparaissent dans deux ou trois scènes seulement mais ont bien la gueule de l'emploi tant ils incarnent une vraie menace. Pour finir, un mot sur Noomi Rapace, qui sort de plusieurs prestations fadasses dans des films plus qu'oubliables et qui se fond elle aussi dans le moule, au diapason de ses partenaires masculins. Un contrepoint féminin certes classique mais qu'elle interprète avec justesse. Tout ce petit monde forme un microcosme alchimique dans une quasi unité de décor, que beaucoup décrient mais qui pour ma part, m'a fait chavirer.
La notion de quartier est brillamment exploitée. Pendant 1h45, on vit avec les personnages dans ce recoin de Brooklyn. Le Cousin Marv's Bar devient notre troquet. On s'y sent tellement bien, aux côtés de tout ces personnages savamment brossés que l'empathie est totale. La réalisation de Roskam (et la superbe photo) fait le reste. Il confirme tout le bien que je pensais de lui et livre de belles images urbaines, nocturnes et parfois poisseuses. Sa science du cadre, on la remarque dès les premiers plans. On est 10 coudées au dessus des tâcherons qui pullulent à Hollywood et qui ne sont pas foutus de se retenir d'agiter leur caméra dans tous les sens. En terme de narration, The Drop ne cède jamais à la facilité, il n'y pas de suspense exacerbé pour le rendre plus sexy. Moi, c'est ce genre de sobriété qui me fait carrément vibrer, rendant ainsi les inéluctables explosions de violence encore plus jouissives. Le rythme est crescendo, posé. Le script de Lehane est lui participatif. Les spectateurs fainéants se plaindront de ne pas se voir abreuvés d'informations sur le passé trouble des personnages. C'est beaucoup plus subtil, tout passe par l'image et le verbe et on nous laisse ainsi le loisir de brosser leurs portraits. L'épilogue quant à lui fait preuve d'une belle amoralité, se teinte d'espoir et constitue la dernière pièce de choix d'un petit bijou noir comme on en voit malheureusement trop peu. Je n'ai déjà qu'une hâte, celle de me replonger dans l'ambiance du Cousin Marv's bar, mais cette fois dans la pénombre de mon salon, avec un bon verre de sky ou une bonne bière belge dans la main (on sert de la Stella chez Gando, petit clin d'oeil de Roskam à sa patrie). Je sais déjà que le plaisir sera garanti à la révision et il n'est pas impossible que The Drop prenne une place encore plus importante dans mon coeur tant il me parle totalement. Au diable les aigris.
9/10