Vraiment étonnante et originale cette révision du mythe vampirique. Là où Park Chan-wook m'a surpris le plus, c'est dans sa manière tortueuse et elliptique de raconter son histoire, permettant de déployer des thèmes forts variés et de renouveler régulièrement les enjeux narratifs, tout en parvenant à implanter habilement le
background des personnages par petites touches sans qu'on devine d'emblée leurs motivations. Un récit qui est donc pensé comme un puzzle à recomposer progressivement par le spectateur qui acquière ainsi une place active et participative. Le début aiguise notre curiosité avec le personnage du prêtre qui se laisse inoculer un virus mortel et son antidote dans le but de sauver des gens, mais une fois transformé, il aura à jongler entre sa soif inextinguible de sang et son désir de sauvegarder les vies.
Le récit prend véritablement son envol lorsqu'il rencontre cette famille dysfonctionnelle comptant en son sein une femme maltraitée par les siens et souhaitant s'en libérer. Appétit charnel, désir d'immortalité, sens de l'humanité, et passion amoureuse dévorante, tout cela est alors exploré par le biais de ruptures de ton assez spéciales et souvent jouissives, nous faisant passer de séquences morbides (voire gores), à d'autres d'une forte tension sexuelle (menée par la superbe Kim Ok‑bin), le tout doté d'un second degré insolite qui permettant d'apporter une touche de légèreté bienvenue à une atmosphère par ailleurs froide et oppressante. Au contact de cette femme, le prêtre oscille vicieusement entre son obsession maladive à sauver les autres (le fait de devenir vampire n'arrange pas les choses) et cette seconde vie offerte par cette romance, d'abord vecteur d'espoir, puis devenant de plus en plus envahissante jusqu'à empoisonner son entourage. Superbe séquence qui résume tout le film par sa beauté, sa violence glauque, et son érotisme prégnant, ces deux amoureux buvant leur sang en boucle, le tout accompagné de petits bruits de succion rappellant autre chose, le son ayant souvent la fonction pour ce réalisateur de nous mettre mal à l'aise et ça ne rate pas.
Dommage par contre que ces ruptures de ton se traduisent aussi par un rythme inégal (la mise en place des éléments est un peu trop longuette), mais au fond mais c'est pour mieux nous surprendre dans une seconde partie qui enchaîne des morceaux dignes d'un Miike en grande forme, en mélangeant onirisme, humour noir, et romance mélancolique, avec des saillies de violence qui font payer aux personnages le prix de leur immortalité. Difficile donc de ne pas être happé par cette oeuvre riche en idées, tant dans le fond que dans la forme. Et puis ce réalisateur nous rappelle quel bon directeur d'acteurs (avec notamment Song Kang-ho qui m'épate à chaque fois dans sa capacité à incarner des rôles différents) et metteur en scène il peut être (il a un sacré sens du cadre), dont je retiens particulièrement cette longue fin muette où tout se joue à partir de l'image et de jeux de regards, qui est aussi un petit concentré d'humour et d'émotion sur ces personnages se raccrochant à la vie par un fil plus ou moins tenace. Bref, voilà un film qui porte entièrement le savoir-faire et la patte de son auteur, articulant de manière très originale genre vampirique, drame familial, et amours interdits/impossibles.
Note : 8/10