La
crème de la crème présente un bon potentiel, mais en partie gâché par une seconde partie qui ne sait plus trop quoi faire de ses personnages et de son concept malin. Ainsi, la première demi-heure mettant en place ce dernier fonctionne plutôt bien, rappelant grosso-modo le film de Fincher sur les réseaux sociaux, où dans une grande école, un groupe de personnes s'inspire du principe de la loi du marché pour pécho durant les fêtes privées de l'établissement. Une idée amusante et acidulée qui reflète plutôt bien la réalité de ces pré-adultes, perdus entre bizutages, rites de passage et chaînes porno hyper accessibles, ayant tendance à s'épancher vers l'aventure sexuelle plutôt que vers la relation amoureuse.
Les acteurs y sont aussi pour beaucoup, apportant une certaine justesse et fraîcheur au film, par une complicité qui devient évidente à l'écran. En outre, le rythme est soutenu, oscillant entre fêtes désinhibées, délires entre potes, et exposition malicieuse de leur plan à coup de vocabulaire crypto-économique, dont l'objectif premier est de contre-carrer le monopole de la gente féminine entretenu par les clubs des polos, avant de devenir ensuite un cercle vicieux qui finit - à l'image des
Liaisons dangereuses - par corrompre une innocence qui faisait à la base tout le charme de la conquête.
Malheureusement, dès que Jaffar - le poto un peu lourd mais gentil - repart en coulisses après ne plus avoir besoin de tricher pour coucher (après donc 30 min), l'intérêt devient inconstant. En plus de perdre l'un de ses meilleurs atouts-interprètes, le film semble payer aussi un peu le prix de sa légèreté. Ainsi, on a du mal à croire que leur plan de recrutement fonctionne aussi bien, totalement surréaliste, et très vite on se retrouve avec une organisation proche du proxénétisme avec des meufs qui sortent d'on ne sait où, prêtes à coucher avec le premier venu pour arrondir ses fins de mois. Et ce ne sera pas plus subtil lorsque ça va du côté des autres grandes écoles pour rameuter du petit pervers boutonneux et salivant, et ainsi grossir le carnet de la clientèle.
Si l'intérêt ne disparaît pas complètement du film, les personnages de Chapiron ont tout de même de la difficulté à exister au-dehors de ce cadre imposé, et seule une poignée de séquences vaut véritablement le détour, surtout, justement, lorsqu'ils se rendent compte à quel point leur petit marché fausse l'authenticité des relations. Le reste demeure un peu trop sage et artificiel, le tout plombé par une image du monde binaire - ça fonctionnait au début car c'était plus de la satire sur le ton de la comédie, donc forcément un peu légère - assez caricaturale et unilatérale, où ce sont toujours les mêmes qui tirent les ficelles de ce jeu du dominant/dominé. Et j'aurais aussi apprécié que la complicité des personnages soit un peu plus développée - au-dehors des chansons et de la prise d'extasie, c'est light -, je pense tout particulièrement à cette petite nénette se déclarant lesbienne, probablement pour éviter qu'on la réduise à un pur produit sexuel bankable - ce qui la rend d'autant plus ambigüe et intrigante, un genre de personnage nietzschéen par-delà le bien et le mal -. Elle aurait vraiment mérité un petit approfondissement supplémentaire, se démarquant de ce trio constitué d'un looser sensible et d'un petit richou qui a pu concrétiser un tel projet qui eux, ne cherchaient qu'à pécho (jusqu'à un certain point).
Pour finir, je salue le dénouement parvenant à éviter la petite morale finale qui pointait pourtant le bout de son nez, prenant ainsi légèrement le spectateur à contre-pied, en offrant également une belle note d'espoir (ce qui me fait encore plus regretter qu'un effort supplémentaire n'a pas été fait pour étoffer les personnages). Bref, si ce film n'est pas dénué de défauts, une telle oeuvre qui ne nous caresse pas trop le sens du poil en abordant un sujet qui frappe par son ancrage moderne et son importance intemporelle, et nous récompensant par une intelligence palpable sans pour autant oublier de nous divertir, mérite forcément le détour.
Note : 6.5/10