Énième vision de ce qui est, à l'heure actuelle, certainement mon film de Steven Spielberg favori. Après la réussite de
War of the Worlds, Spielberg signe avec
Munich une œuvre véritablement inattendue et qui s'impose comme la plus mature de sa filmographie avec
Schindler's List. Délaissant le spectaculaire qui a fait les beaux jours de ses plus grands succès et choisissant un sujet personnel des plus risqués en guise de thématique principale (à savoir la quête d'identité d'Israël et du peuple juif dans sa globalité), Spielberg prend des risques énormes avec cette œuvre atypique vis à vis du reste de sa filmographie. A la fois film d'espionnage à l'ambiance 70's palpable, réflexion sur la façon de combattre le terrorisme sous toute ses formes et introspection d'hommes dont le seul but est de tuer pour une idée, Munich se révèle être une pièce filmique bien plus dense qu'elle n'y paraît en terme de thématiques, le tout servie par une forme qui rappelle les volontés expérimentales d'un réalisateur qui n'a plus rien à prouver. Le script prend le parti de surprendre totalement son spectateur, préférant se concentrer sur une hypothèse historique (l'assassinat de plusieurs membres de Septembre Noir par un commando israélien soutenu par son pays en quête de vengeance) plutôt que le drame-titre de la prise d'otages de Munich, et si celle-ci fait office de catalyseur dramatique via des flashbacks profondément marquants, c'est véritablement la psychologie du commando vengeur, et notamment celle du personnage d'Avner, qui est au centre du récit.
Ainsi,
Munich est un film sur l'illusion de la vengeance, sur la fâcheuse tendance de l'homme à devenir ce qu'il tente de combattre mais aussi et surtout une profonde réflexion sur la place du peuple juif dans la seconde moitié du vingtième siècle et qui, à défaut de rechercher une Terre Promise, se met en quête de sa propre identité morale. En tant que juif lui-même, Spielberg aurait clairement pu tomber facilement dans le piège de la prise de position, ce qu'il évite toujours avec habileté. Car si le personnage d'Avner est, au début du métrage, un arriviste idéaliste considérant son pays comme une mère à part entière, son cheminement psychologique au fil du métrage se révèle être le véritable sujet de ce récit où la folie israélienne se révèle face à Septembre Noir, aux tueurs à gages ou encore aux souvenirs fascistes français. L'homme convaincu devient alors porteur d'un doute qui ne disparaîtra jamais, que ce soit envers ses supérieurs (excellents dialogues avec le personnage de Geoffrey Rush) ou tout simplement envers l'avenir de son peuple qu'il décide de quitter. Œuvre profondément pessimiste,
Munich est clairement un tournant majeur de la filmographie de Spielberg car se révélant être la finalité de la plupart de ses réflexions, l'enfance devient alors, à travers un jardin d'enfants à l'abandon, le témoin d'une rupture entre un homme et ses idéaux, la jeune fille rouge de
Schindler's List réapparaît subtilement dans une séquence de tension révélatrice. Quand au plan final du métrage, il rappellera via la présence des Twin Towers que la déshumanisation par la violence est finalement un élément éternel propre à l'être humain, chose que Spielberg n'avait, jusque là, jamais totalement avoué.
Sur la forme,
Munich est clairement l'un des plus beaux travaux du cinéaste. Enjolivé par une photographie sublime de Kaminski, le film jouit d'une maîtrise de chaque instant, que ce soit sur les scènes dialoguées toujours bien mises en valeur ou tout simplement sur les séquences de tension que Spielberg filme à merveille, et que dire de ce montage alterné final qui s'inscrit comme l'apothéose dramatique du sujet traité, où l'acte de créer la vie rencontre celui de provoquer la mort. Dire que
Munich possède une classe visuelle indéniable serait un euphémisme tant le film se place parmi les plus grandes réussites de Spielberg sur ce point là. Quand à la direction d'acteur, Spielberg reste fidèle à lui-même en offrant à Eric Bana le rôle de sa vie (la scène où il entend pour la première fois son enfant est à pleurer), Mathieu Kassovitz n'a jamais été aussi bien dirigé (sa dernière séquence dialoguée est sublime), quand à Daniel Craig, Geoffrey Rush et Ciaran Hinds, ils sont, comme d'habitude, excellents de bout en bout. Cerise sur la gâteau, John Williams offre une de ses plus belles compositions, se renouvelant totalement via un thème principal qui reste très longtemps en tête après la vision du film.
Munich, clairement l'un des chef-d’œuvre de Steven Spielberg, son œuvre la plus mature qui prouve encore une fois l'éclectisme expérimental d'un réalisateur qui n'a pas finit de nous surprendre.