Interstellar de Christopher Nolan (2014) - 8/10
Avec Interstellar, Christopher Nolan décloisonne son cinéma, casse les barrières de l’intellectualisation froide de ses derniers scripts (Inception) habituellement surplombés par sa logorrhée explicative, pour aller cette fois ci dans des contrées à l'imaginaire scientifique émouvant. La Terre va mal, l’atmosphère ne permet plus la vitalité de la vie humaine, les denrées se feront rares, même inexistantes. Dans le secret le plus total, la NASA va envoyer dans l’espace un de ses anciens pilotes (Cooper) et quelques-uns de ses scientifiques pour essayer de trouver une nouvelle terre d’adoption pour l’espèce humaine ou au pire bâtir une nouvelle colonie. Est-ce que la Terre est la seule planète de prédilection pour les humains ? La verbalisation des enjeux chez Nolan est toujours de mise, mais d’une manière assez ludique quoiqu’un peu longuette, tout en permettant de rendre le jargon scientifique beaucoup plus compréhensible et captivant par bien des égards.
Pourtant, Christopher Nolan est un doux rêveur, il a une ambition humble et toute simple : celle de laisser le sort de l’humanité dans les mains l’intime, dans les petites paumes de ce qui fait de nous des êtres humains où le temps prendra une toute autre définition et dimension. Le film aura cette brillante idée, comme dans Inception, de stratifier la temporalité en fonction des lieux, ce qui donnera vie à une scène terrassante d’émotions quand une partie de l’équipage se retrouvera après « 23 ans » de distance. Se reposant toujours sur son sens graphique majestueux, sombre et glacé, avec une déshumanisation prépondérante et un univers spatial léché et parfois flamboyant, avec une planète Terre poussiéreuse, un trou noir infini, des planètes stellaires faites d’eaux ou de glace, le réalisateur américain envahira son œuvre d’une émotion qui dépasse les notions de relativité et de gravité.
C’est un dangereux revirement que soumet Nolan à son cinéma, car entre émotion subtile et sentimentalisme dégoulinant, il n’y a qu’un pas. Pourtant, Nolan semble franchir le pas mais il est difficile de lui en vouloir devant une telle générosité, un tel amour pour certains de ses personnages, une envie presque indéfinissable de croire en l’humain et ses possibilités. Malgré les chiffres, les équations aux multiples inconnues, les variations de données, les calculs de probabilités, Christopher Nolan fait de l’amour son cheval de bataille et nous prend par la main pour le suivre dans son épopée spatiale aux multiples mystères et rebondissements. D’ailleurs, Cooper ressemble à d’anciens personnages de Nolan ; Borden et Angier: un homme passionné, habité, qui se dévoue à son œuvre.
Pourtant, au contraire de l’œuvre « Le Prestige », l’amour de Cooper pour sa famille le transcendera. De ce fait, la personnalité narrative du réalisateur est présente, avec son style lourdement appuyé fait de grosses ficelles et parfois grandiloquent (cette musique omniprésente de Hans Zimmer) mais dont le sens du rythme et du montage éclaté permet une osmose et une fluidité incessante entre scène SF et terrestre dans des séquences au suspense haletant. Au niveau de son décorum d’anticipation, Christopher Nolan a d’excellentes petites trouvailles à commencer notamment par ses robots androïdes, intelligences artificielles au design et à la caractérisation blufflante, qui seront là pour accompagner l’équipage dans sa mission et même apporter une petite touche d’humour.
Avec Interstellar, Christopher Nolan ne met pas en scène simplement des scientifiques arc boutés sur leurs missions mais des individus qui répondront de leurs missions par leurs émotions, ce qui les guide vers l’humanité et leurs chemins de croix. L’amour d’une fille pour son père, celui d’un père pour sa fille. Rien de plus banal mais Christopher Nolan arrive à s’en accommoder pour faire de ce lien intemporel et stratosphérique, une relation en « 5 dimensions », un dialogue interstellaire inoubliable.