RASHOMON
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Akira Kurosawa (1950) | 7/10
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Sont-ce ses thématiques un peu trop philosophiques, son jeu narratif qui s’essouffle lorsqu’il replonge, la tête la première, pour une énième immersion en terre du mensonge, ou cette fin ouverte si inattendue qu’elle sonne presque comme une excuse à ce qui a précédé ? Difficile de me l’expliquer, mais je sors un peu sceptique du visionnage de Rashomon, film qui m’a été chaudement recommandé par de nombreuses personnes me l'ayant présenté comme un chef d'oeuvre de son auteur.
Kurosawa y est pourtant fidèle à ses habitudes, y déroule tout son savoir-faire technique dont résulte une imagerie aussi subtile que maîtrisée. Allant jusqu’à investir une nature dépouillée de toute présence humaine pour développer, par des expressions climatiques, des variations de lumières ou encore toute une symphonie de bruits rappelant la rigueur du lieu investi par les protagonistes, sa fable noire. Et lorsqu’il porte sa caméra en dehors des bruissements d’arbres en colère, c’est soit pour nous la poser dans les mains, nous spectateurs, enrôlés en tant que juges auxquels sont directement adressés les témoignages des différents personnages, ou pour la passer derrière l’épaule des derniers témoins détenteurs de la vérité, ceux qui pourraient, mais ne le feront jamais, nous aiguiller enfin vers la bonne version de l’histoire narrée par Kurosawa.
Tour à tour alors, les personnages s’expriment, avec la fougue un peu cabotine d’acteurs qui en font des tonnes, pour accentuer la thèse très théâtrale à laquelle se prête leur directeur. S’ensuit une peinture noire en diable de la nature humaine, dont les plaidoiries successives ne sont que glorifications personnelles, mensonges éhontés par omission volontaire ou fantasme d’une situation qui aurait été souhaitée autre.
Mais la parabole finit par être trop étouffante, trop répétitive pour garder toute la percussion qu’elle avait à son origine, lorsque le point de vue initial était remis en question par les différents personnages ayant pris part au drame. Mais lorsque le paysan qui a lancé l’offensive en premier, donne à son tour sa version de l’histoire, qui s’annonce plus ou moins comme la version digne d’être crue, et que dans le même temps, elle est une nouvelle fois remise en question, parce que le bougre, par honte, a assombri une nouvelle fois la réalité, alors l’agacement commence à poindre légèrement. Car même si la vérité n’est pas importante, la démonstration s’éternise un peu trop, au point que la thèse soutenue par Kurosawa, selon laquelle l’humanité porterait un gêne du mensonge poussant chaque homme à tirer la couverture à soi, pour tirer avantage de toute situation (« Pour survire, il faut être égoïste » dit clairement l’un des personnages), finit par sembler un peu trop didactique.
Rashomon est un beau film, c’est indéniable. D’un point de vue formel c’est une nouvelle démonstration visuelle de la part de l’un des plus féroces techniciens qui ait existé, et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître au propos de Kurosawa sa belle diversité thématique. Mais sa capacité à manipuler l’esprit de son spectateur, celle qui fait qu’on change sans cesse notre fusil d’épaule sans pour autant changer de cible, la nature humaine et ses travers étant en ligne de mire, peut aussi fatiguer. A la quatrième reprise, l’attention se relâche, le discours, redondant, perd en impact. A mon sens en tout cas, qui tendrait à être conforté par cette fin sortie de nulle part, qui vient éclairer des cieux placés jusque là dans l’ombre d’une pluie torrentielle, par l’intermédiaire de cette image, un peu facile, de l’innocence d’un bébé abandonné (il y a quand même plus subtile) qui révèle alors, finalement, que sous ses facettes les plus sombres, l’être humain peut aussi cacher le meilleur. En bon cynique, j’aurais au moins aimé que Kurosawa assume son terrible portrait jusqu’au bout.