Dire que l'année ciné 2014 fut bien morne est un doux euphémisme. Entre suites et autres reboots qui laissent complètement indifférent et des pétards mouillés en pagaille portés aux nues faute de mieux, nous avons vogué de déception en déception. Avec Gone Girl, David Fincher se rappelle à nos bons souvenirs et prouve une fois de plus qu'il est un des plus grands entertainers des 20 dernières années. Mais aussi un auteur, titre qu'il ne semble pas apprécier qu'on lui attribue. Et pourtant, comment ne pas voir une cohérence thématique imparable si on creuse un tant soit peu ses derniers films. Gone Girl en est une preuve flagrante. Il ne ressemble à rien de connu, si ce n'est à un film de David Fincher. Au fil des ans, son incroyable style visuel s'est affiné. Exit les séquences d’esbroufe un peu vaines et place à une certaine forme de classicisme. La substantifique moelle de son indéniable génie de la mise en images se voit enrobée à présent d'une classe assez folle. Sa technique est à la fois enthousiasmante par son inventivité de tous les instants mais aussi par la manière dont elle fait la nique à tous les agités de la focale adeptes du cutter en salle de montage. Fincher est plus proche de la légion de brillants formalistes des 70's que des tâcherons d'aujourd'hui.
Dans le cas présent et sous couvert d'une histoire de moeurs assez banale, il livre une fois encore un thriller exaltant, parfaitement rythmé (on ne voit pas passer les 2h30 et on en redemanderait presque) et aussi riche sur le fond qu'il peut l'être sur la forme. En adaptant le roman "Les Apparences" de Gillian Flynn, il détruit minute après minute l'institution du mariage au travers d'un jeu de faux-semblants aussi retors que pervers. Mais il pointe également du doigt la lente déshumanisation qui gangrène le monde moderne, de la plus petite des cellules, celle du couple, à la plus grande, l'opinion publique. Cette dernière est représentée par le prisme de l'omnipotence des médias, eux qui régissent absolument tout et piétinent allègrement toute forme de libre arbitre. Nulle place pour les sentiments ou la compassion lorsque le tempête médiatique est au dessus de votre tête.
Dead or Alive?
Difficile de parler de l'histoire de Gone Girl sans trop en dévoiler mais la surprise que réserve assez rapidement le script n'a rien d'un coup de théâtre qui réduirait à néant l'intérêt du film s'il était éventé. On l'imaginait à peu près tous tel qu'il nous est présenté au vu de la communication dont a bénéficié le film, via des teasers anti-démonstratifs mais aussi plein de sous-entendus. Le plaisir n'atteint pas son paroxysme lorsque la principale zone d'ombre du script est enfin éclaircie (Amy Dunne est-elle morte ou non?) mais lorsque que l'on découvre la façon dont les personnages en sont arrivés à ce point. En gros, après une heure au cours de laquelle il nous fait gentiment tourner en bourrique, il nous dévoile enfin ce que nous imaginions déjà. Pas une perte de temps pour autant car la suite apparaît comme une déconstruction en règle des codes du thriller, presque dénuée de suspens au sens premier du terme. Ses thématiques brillamment développées prennent alors le relais pour un résultat final glaçant.
Et tout cela ne serait pas possible sans ses comédiens, unanimement bons et preuves que David Fincher est aussi un grand directeur d'acteurs. Ben Affleck a souvent été raillé pour son manque de charisme. Son physique policé de gendre idéal colle à merveille aux traits de caractère de Nick Dunne, homme pris dans la tourmente qui semble payer tout ces petits méfaits, notamment en se faisant passer pour un homme qu'il n'est visiblement pas dans le seul but de conquérir le coeur de l'épatante Amy. Une disparue omniprésente, qui hante la bobine du début à la fin. Une femme dont tout homme rêve de partager la vie, elle si belle et intelligente, mais aussi une femme qui souffre de maux dissidents, victime elle aussi des travers de notre société (cf l'alter égo de fiction qu'on créé ses propres parents). Rosamund Pike est étincelante, pas de doute possible. Même les choix les moins évidents du casting sont judicieux. Il suffit de voir Neil Patrick Harris, enfermé à jamais où presque dans le costume de Barney de la série How I met your mother. Fincher joue avec cette image qui lui colle à la peau pour en faire un personnage qui n'en est qu'une extrapolation sobre et pourtant tout aussi "awesome" (un amour du passé à qui tout semble avoir réussi; il suffit de voir son incroyable chalet pour s'en convaincre).
Si on ajoute à cet amoncellement de qualités la BO subtile et démentielle de Trent Reznor et Atticus ross, Gone Girl fait figure d'eau bénite en ces temps maudits. Il y a bien quelques griefs à lui mettre sur le dos (les pseudos retournements de situation n'en ont jamais été pour moi ou encore le côté un peu trop didactique dans la seconde partie) mais ce ne sont que des broutilles face au plaisir éprouvé. Nick et Amy Dunne ont entrepris de construire une relation amoureuse idyllique, Gone Girl exprime à merveille leur frustration et leur aveu d'impuissance face à cet échec. J'imagine un couple qui bat de l'aile qui se fait ce genre de toile, passer 2h30 à se prendre des coups dans l'estomac alors qu'il pensait s'évader de son morne quotidien, ça doit vraiment faire mal. Pervers et retors, on vous dit. Merci David.