De retour chez lui après le moyen Hollow Man, Verhoeven renoue avec ce qui faisait la puissance de sa période hollandaise : un réalisme abrupt et des acteurs d’un naturel saisissant. Et même s’il succombe par moment aux sirènes du film spectacle avec Black Book, il ne manque pas d’y imprimer sa personnalité, par l'intermédiaire de sa résistante aux nerfs d’acier.
A travers son regard, Verhoeven nous entraîne pour une plongée en pleine Hollande sous l’occupation. La reconstitution historique est fabuleuse, le réalisateur met pour l’occasion les petits plats dans les grands. Mise en scène ambitieuse, à la photographie très soignée, il fait de Black Book un héritier de son cinéma social marqué par toute sa période américaine d’un point de vue visuel : l’aboutissement de deux mouvements au sein de son œuvre, qui trouve à l’écran une harmonie de chaque instant, si ce n’est un soupçon d’exagération dans le dernier acte. Les twists s’enchaînent un peu trop, au point d’égratigner partiellement le réalisme qui avait emprunt la bobine jusque là. Les retournements de veste sont un peu cavaliers, les révélations également, même si au moment de faire le bilan, lorsque toutes les ombres ont trouvé la lumière, le tableau reconstitué paraît cohérent.
Mais Black Book, plus que sa puissance formelle et son script passionnant, est avant tout un portrait de femme qui se construit dans la douleur. La réussite de l’entreprise doit beaucoup à l’abandon total de son interprète, Carice van Houten. Alors inconnue du grand public, Paulo révèle une actrice qui se livre sans retenue, pareille à celles qui illuminèrent ses premiers films. Braquant en permanence son projecteur sur sa nouvelle muse, il ne manque aucune occasion de la placer au centre de sa lumière. La belle est mise en valeur plus qu’à son tour, au moyen de prises de vue malines, amplificatrices de son charme rageur.
A ses côtés, tous les seconds rôles sont au diapason. De la bonne tronche de salopard, du personnage ambivalent imprévisible — amusant de retrouver le jeune Herman de Da Vierde Man —, de l’arriviste peu pudique, bref, une galerie de tempéraments haute en couleurs qui trouve une belle harmonie à l’écran et permet à l’histoire de se dérouler sans jamais ennuyer.
Avec Black Book, Verhoeven réalise une illustration coup de poing de la résistance hollandaise en pleine seconde guerre mondiale au moyen d’un film spectacle détonnant et intimiste. Acteurs au sommet, ambiances sonores immersives et script soigné, dont on pardonnera les soubresauts finaux un peu cavaliers sans faire la fine bouche. Un retour en Hollande gagnant pour Paulo, qui réalise, pour l’occasion, une œuvre somme de ses périodes hollandaise et américaine. Un régal pour le fan que je suis.