LA FÉLINE
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Jacques Tourneur (1943) | 8/10
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Jacques Tourneur (1943) | 8/10
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Il y a dans la Féline une profonde envie de bousculer le schéma classique du film fantastique hollywoodien. Où jusqu’ici, la peur naissait principalement dans des ambiances irréelles, dans le film de Jacques Tourneur, les mécanismes de la peur sont au contraire faits de suggestion et de non dits. Par un jeu permanent entre ombres et lumières, qui apportent aussi bien cette ambiance propice à la peur qu’un début de réflexion sur la dualité de l’être humain, la tension va progressivement s’installer dans le cadre, au fur et à mesure que la jolie Simone Simon va laisser son animalité avoir raison de sa rationalité. Et lorsqu’elle se laissera aller à ouvrir pleinement les vannes de cette passion qui la consume, alors les puissants crocs de son passager sombre feront basculer la Féline du film fantastique au film de monstre par excellence.
Outre la belle inspiration qui fit de sa proposition une référence évidente pour bon nombre de réalisateurs par la suite, il serait cavalier de réduire La féline uniquement à son somptueux jeu formel. Ce dernier est effectivement le fruit d’une impressionnante maîtrise de la lumière — les deux attaques de la panthère embusquée dans l’ombre sont de très jolis moments de mise en scène — mais s’il parvient à trouver telle percussion par l’image, c’est parce qu’il est mû par un subtil travail d’écriture visant à instaurer une mythologie fantastique qui fonctionne terriblement. Par une véritable tour de force, Tourneur abat quantité de thématiques pour faire de sa prédatrice au visage angélique le seul personnage de pouvoir de son film. A part le pragmatisme serein du psychiatre qui tente de la comprendre, le monde dans lequel elle évolue n’est habité que de proies potentiellement offertes au féroce appétit qu'elle développe en dissimulant ses pulsions passionnelles.
Car c’est bel et bien une illustration de la passion que Tourneur tente de véhiculer à travers ce personnage de femme animale. S’entrechoquent dans son film des concepts érigés par la morale qui n’ont d’autre but que d’éteindre les dévorantes pulsions qui caractérisent l’être humain. De celui qui porte le doux nom d'amour, invitant pour l’occasion ses inséparables copains trahison et jalousie, à ce désir charnel alors taboo dans les sociétés civilisées, au point qu’on pourrait condamner celle qui s’y abandonnerait, à se transformer en un animal du diable. La troublante Simone Simon parvient à rendre à merveille le trouble qui habite son personnage. De prime abord, incarnation fragile de l’innocence qu’elle doit à sa beauté, elle parvient dans le même temps à tordre la douceur de ses traits pour imprimer sur son visage un inquiétant désir de violence. Lorsqu’elle joue les sadiques avec ce pauvre petit canari, qu’elle file sa rivale dans une ruelle qui s’épure progressivement de toute lumière ou qu’elle s’improvise inquiétante surveillante de baignade, il n’est plus question de douceur, si l’on considère, bien sur, qu’enfermer un homme dans le mariage après l’avoir ferré dans un parc en le faisant ramasser ses déchets est une quelconque forme de douceur !
Et pourtant, malgré ces passages limpides quant à l’acceptation de la jeune femme de son pouvoir particulier, Tourneur parvient à lui conférer une ambiguïté suffisante pour que le paradoxe qui la tiraille, plutôt qu’un faux-semblant vicieux un peu facile, motive son évolution. Sa matérialisation animale n’est en effet que le reflet d’une réaction à une phobie qui finit par se concrétiser : cet amour, qu’elle avait jusque là tenté de fuir, et qui lui échappe petit à petit, finit par avoir raison de sa détermination à « guérir ».
Oeuvre mutante, évoluant sur les territoires de genres très différents, la féline impressionne par la densité de son sous-texte. Réalisé en un temps express, au moyen d’un budget riquiqui, et accusant à l’horloge une heure dix à peine, son efficacité provoqua, lors de sa sortie en salle, un engouement immédiat du public et inscrivit Tourneur sur le calepin des réalisateurs à suivre — et des sauveurs de la RKO, quel homme ! —. Je le découvre pour ma part avec cette belle féline et j’ai déjà envie d’en voir plus, Vaudou me fait par exemple copieusement de l’œil, le petit coquin !
Outre la belle inspiration qui fit de sa proposition une référence évidente pour bon nombre de réalisateurs par la suite, il serait cavalier de réduire La féline uniquement à son somptueux jeu formel. Ce dernier est effectivement le fruit d’une impressionnante maîtrise de la lumière — les deux attaques de la panthère embusquée dans l’ombre sont de très jolis moments de mise en scène — mais s’il parvient à trouver telle percussion par l’image, c’est parce qu’il est mû par un subtil travail d’écriture visant à instaurer une mythologie fantastique qui fonctionne terriblement. Par une véritable tour de force, Tourneur abat quantité de thématiques pour faire de sa prédatrice au visage angélique le seul personnage de pouvoir de son film. A part le pragmatisme serein du psychiatre qui tente de la comprendre, le monde dans lequel elle évolue n’est habité que de proies potentiellement offertes au féroce appétit qu'elle développe en dissimulant ses pulsions passionnelles.
Car c’est bel et bien une illustration de la passion que Tourneur tente de véhiculer à travers ce personnage de femme animale. S’entrechoquent dans son film des concepts érigés par la morale qui n’ont d’autre but que d’éteindre les dévorantes pulsions qui caractérisent l’être humain. De celui qui porte le doux nom d'amour, invitant pour l’occasion ses inséparables copains trahison et jalousie, à ce désir charnel alors taboo dans les sociétés civilisées, au point qu’on pourrait condamner celle qui s’y abandonnerait, à se transformer en un animal du diable. La troublante Simone Simon parvient à rendre à merveille le trouble qui habite son personnage. De prime abord, incarnation fragile de l’innocence qu’elle doit à sa beauté, elle parvient dans le même temps à tordre la douceur de ses traits pour imprimer sur son visage un inquiétant désir de violence. Lorsqu’elle joue les sadiques avec ce pauvre petit canari, qu’elle file sa rivale dans une ruelle qui s’épure progressivement de toute lumière ou qu’elle s’improvise inquiétante surveillante de baignade, il n’est plus question de douceur, si l’on considère, bien sur, qu’enfermer un homme dans le mariage après l’avoir ferré dans un parc en le faisant ramasser ses déchets est une quelconque forme de douceur !
Et pourtant, malgré ces passages limpides quant à l’acceptation de la jeune femme de son pouvoir particulier, Tourneur parvient à lui conférer une ambiguïté suffisante pour que le paradoxe qui la tiraille, plutôt qu’un faux-semblant vicieux un peu facile, motive son évolution. Sa matérialisation animale n’est en effet que le reflet d’une réaction à une phobie qui finit par se concrétiser : cet amour, qu’elle avait jusque là tenté de fuir, et qui lui échappe petit à petit, finit par avoir raison de sa détermination à « guérir ».
Oeuvre mutante, évoluant sur les territoires de genres très différents, la féline impressionne par la densité de son sous-texte. Réalisé en un temps express, au moyen d’un budget riquiqui, et accusant à l’horloge une heure dix à peine, son efficacité provoqua, lors de sa sortie en salle, un engouement immédiat du public et inscrivit Tourneur sur le calepin des réalisateurs à suivre — et des sauveurs de la RKO, quel homme ! —. Je le découvre pour ma part avec cette belle féline et j’ai déjà envie d’en voir plus, Vaudou me fait par exemple copieusement de l’œil, le petit coquin !