Scorsese est un monstre. Avec la vitalité d'un jeune homme, il nous dépeint cette peinture satirique,
rise & fall, du monde de la finance et des requins qui le peuplent, en donnant l'impression que les 3h00 de bobine en paraissent deux fois moins. Son arme, c'est d'abord cet humour de sale gosse qu'on nous jette en pleine figure. Car le propos est simple, résumé en 5 minutes par l'entremise de l'excellent Matthew McConaughey. A Wall Street, seul l'argent compte, quitte à faire la levrette aux clients, et la drogue et le sexe sont là pour gérer le stress de la vente, avant de devenir un véritable style de vie. Ainsi, aussitôt après avoir exposé son sujet, Scorsese nous fait le plaisir de nous plonger littéralement dans cet univers déjanté et artificiel où se côtoient tous les excès, avec une forme aux petits oignons, où il n'a rien perdu de sa science, tout au service du fond.
A l'instar de
No pain, No Gain, il s'agit donc avant tout d'une immense comédie, avec des interprètes qui nous font le plaisir de se lâcher, comme s'ils étaient toujours
stone. Ainsi, lorsque le jeune loup Di Caprio s'empare du micro pour parler à sa meute, il s'avère si convaincant qu'on la ferme et on l'écoute, et on dirait qu'il pourrait (faire) vendre n'importe quoi. Matthew McConaughey, malgré sa courte présence, est excellent en mentor totalement décomplexé, un étrange et charismatique mort-vivant de la finance. Le reste du casting, s'il n'est pas du même calibre, donne tout ce qu'il a, nous gratifiant parfois de scènes férocement osées (lancer de nain, orgies, prise de drogue dans des positions insolites ...).
Mais comme dans tous les Scorsese, ce dernier cherche à rendre attachant ces personnages dénués de toute moralité. Et effectivement, grâce à la manière dont est mis en avant le parcours de ce
self-made man qui, malgré la maxime "A Wall Street, point d'amis", fait le contraire, il n'apparaît pas complètement détestable, ce qui programme d'ailleurs ironiquement sa chute. Et même lorsqu'on s'enfonce avec eux, au lieu de nous asséner d'un discours moral "ce n'est pas bien", il arrive là aussi à livrer des séquences jouissives, inventives, et sacrément ambigües (comme la montée à retardement des effets de cette maudite pilule, peut-être la meilleure scène du film), qui contribuent à construire le portrait de ce jeune homme qui n'est au fond qu'un gamin qui, au lieu de grandir, s'est entouré de beaux jouets, s'est laissé bouffé par ses propres fantasmes, et finalement s'est fait écrasé par ce système d'arnaques qu'il a aidé à bâtir.
En bref, un film qui derrière ses airs de comédie, se révèle finalement touchant dans son dernier acte, et propose en son sein une parabole à peine appuyée mais que je trouve assez puissante sur un homme du commun qui, ne voulant pas décrocher de ce qui lui donne de l'énergie, cache ainsi un mal-être à peine dissimulé (lorsqu'il est sobre, il s'emmerde sec, et la caméra elle aussi se pose, on a du coup qu'une envie, que Scorsese remette les couverts, il nous rend accroc à sa mise en scène, le coquin ... parfois au détriment des personnages qui peinent ainsi à exister au delà de leurs frasques), et est prêt pour cela à des risques insensés. Scorsese livre donc un
Casino brillamment revu au goût du jour, à travers les yeux de notre époque.
Note : 8.5/10