MAUVAIS SANG
Id. - Leos Carax - 1986
Je ne sais plus qui a écrit que voir un film, c'était un peu comme sortir avec quelqu'un. Il y a ceux qu'on adore au premier regard, ceux qu'on déteste immédiatement, ceux qu'on aime bien mais juste pour une fois, ceux qui ont plein de défauts mais qu'on aime quand même (et surtout à cause de ces défauts), ceux dont on tombe amoureux pour toujours. Il y aussi ceux avec qui le premier rendez vous se passe mal et que l'on recroise, parfois des années plus tard, en se demandant comment on a pu passer à côté. Mauvais Sang fut de ceux là. La première fois, on ne s'est pas compris, on a pas accroché. Est-ce cette diction sonnant comme récitée, le scénario improbable, la mise en scène irréaliste ? Impossible de savoir. Toujours est-il que la seconde vision a agit comme une révélation.
Improbable, l'histoire de Mauvais Sang l'est sans doute. Dans un Paris à la chaleur caniculaire (pour cause de passage de la comète de Halley à proximité de la Terre), deux truands sont acculés par une mystérieuse américaine et sa clique pour rembourser leur dette. Au pied du mur, ils recrutent le fils de leur défunt associé pour mener à bien le vol d'un virus tuant ceux qui font l'amour sans s'aimer. Celui-ci fuit son amour de jeunesse pour se reconstruire et accepte la proposition des truands. Il finit par tomber sous le charme d'Anna, l'amante de l'un d'eux. Scénario improbable donc, mais surtout prétexte pour Leos Carax a mixer toute une série d'influences (le Film Noir, le réalisme poétique, la science-fiction) et ses obsessions thématiques (la recherche de l'amour passionnel).
On compare souvent le cinéma de Carax a l’œuvre d'un poète, et en particulier à celle d'Arthur Rimbaud à qui il emprunte ici le titre. La comparaison est souvent galvaudée mais paraît pourtant ici tout à fait juste. En effet, Carax ne cherche jamais à être réaliste ou à faire vrai. Ce qui l'intéresse est l'émotion qu'il procure au spectateur. Ainsi, son travail formel pourra en dérouter plus d'un (et c'est sans doute une des raisons de ma première « incompréhension ») mais cela n'est pas différent d'un poète qui associerait des mots qui n'auraient rien à voir ensemble et qui, au delà de toute logique, parviendrait à se faire comprendre, à faire ressentir quelque chose d'abstrait. Si rien ne sonne vrai, c'est parce que le film est la vision d'Alex, double du cinéaste, qui rêve d'absolu et d'amour pur (c'est sans doute pourquoi cette histoire de virus qui tue ceux qui ont des relations sexuelles sans sentiments à pu paraître réactionnaire à certains, en pleine épidémie du SIDA, alors qu'il faut peut être plus y voir l'idéal romantique du cinéaste) mais qui se confronte au fait que son amour est un amour à sens unique : il ne pourra jamais rivaliser avec Marc, il ne sera jamais aussi fort, aussi grand, aussi vieux, aussi rassurant,...
Mauvais Sang est un véritable film-univers, avec ses propres codes et ses personnages atypiques, campés par un galerie de tronches mémorables : Michel Piccoli, Hans Meyer, Hugo Pratt,... qui lui donne cette impression d'être un film qui se serait perdu dans le cinéma français des années 1980, comme si le film était lui aussi une comète que l'on avait pas vu venir et qui ne laissera malheureusement pas de trace derrière lui. Constamment sur le fil, risquant de basculer dans le grotesque d'un moment à l'autre, Mauvais Sang réussit un prodigieux numéro d'équilibriste grâce au talent de son jeune cinéaste et de son équipe (les décors sont magnifiques de même que la photographie qui restitue parfaitement la moiteur de ces nuits caniculaires).
9/10