Dommage que ce soit un peu trop long à mon goût, mais ce film est la preuve, s'il en était besoin, que Kubrick n'a pas attendu son passage à la couleur pour montrer qu'il était déjà un grand metteur en scène, remarquable surtout à travers son sens du cadre, de l'écriture, et de l'utilisation de la musique, qui instillent un délicieux décalage entre l'environnement propret et fraîchement libertaire des années 50, et les intentions salaces d'un vieux bonhomme aux idées rétrogrades tombant fou amoureux de la jeune et jolie fille de sa logeuse, le choc entre ces milieux sociaux étant le principal intérêt sur le papier.
N'ayant pas lu le célèbre bouquin éponyme, je ne ferai pas l'effort inutile de comparer avec son adaptation, je soulignerai simplement que sa réputation sulfureuse transparaît difficilement à travers la pellicule (beaucoup d'ellipses et de non-dits, peu d'images éloquentes sur la source du désir, bien qu'on devine entre les lignes ce qui s'y déroule), retenant surtout le malin plaisir de Kubrick à instaurer cette idée de l'acte manqué (on ne compte pas le nombre de fois où ironiquement le passage à l'acte ne ne réalise pas), et du petit jeu mensonger auquel s'affairent le trio composé de l'écrivain, Lolita, et du dramaturge (interprété par le génial Peter Sellers) qui n'est pas dupe de ce petit manège à la saveur quasi incestueuse, incarnant ainsi une passionnante source de troubles pour l'un, et de libération pour l'autre.
L'histoire est découpée en trois actes principaux, presque comme une pièce de théâtre, dont elle adopte d'ailleurs le ton. Mais ici ça s'y prête bien, avec des dialogues littéraires qui sonnent justes, et une bonne interprétation générale, bien que j'ai quelques bémols à propos des multiples apparitions de Sellers qui s'adonne à une sorte de show trop évident, bien que jouissif en lui-même, et cohérent avec le reste (comme révélateur enjoué et polymorphe du scandale et de l'hypocrisie qui a lieu, il montre que tout ça c'est du flanc, des rôles percés à jour, et paradoxalement il est peut-être ainsi le plus sincère du trio). Sinon Mason est parfait dans le rôle de cet écrivain doté d'un phrasé d'un autre siècle, dont on peut pressentir la jalousie maladive à venir, et Sue Lyon est inoubliable dans la peau de cette jeune enfant-adulte, tendre et juvénile d'un côté, mais de l'autre déjà manipulatrice en diable, l'air de rien (je n'aurais pas craché contre quelques scène de plus dans ce genre, l'ensemble étant un peu trop sage).
Donc au final, malgré quelques réserves dans le traitement, ce
Lolita est bien sûr l'un des films à voir dans la première période de Kubrick, qui à travers sa lecture ironique, contradictoire, tragique de l'humain (tour à tour pathétique, manipulateur, arriviste...) lorsque le désir s'y mêle, annonçait déjà nombreux de ses chefs-d'oeuvre sur la folie des sentiments et de ses implications (on a bien de la pitié pour le sort de cette logeuse solitaire), et le double jeu qui s'y déroule pour maintenir les bonnes apparences alors que derrière le masque se cachent de "beaux" monstres, tels que
Barry Lyndon ou
Eyes Wide shut.
Note : 8/10