⌲ PLANET OF THE APES (1968)de Franklin J. Schaffner avec Charlton Heston, Roddy McDowall, Kim Hunter, Maurice Evans.
Histoire: Égaré dans l’espace-temps, un engin spatial américain s’écrase en 3978 sur une planète inconnue. Les astronautes Taylor, Landon et Dodge découvrent que les hommes primitifs de cette planète mystérieuse sont placés sous le joug de singes très évolués…
« Don’t look for it, you may not like what you find. »
Film culte, début d’une saga intemporelle, La Planète des Singes est avant tout un livre écrit par Pierre Boulle et tout de suite saisit par Arthur Jacobs, un des producteurs hollywoodiens majeurs des années 60, qui avait acheté les droits du roman à l’écrivain français, sentant avant même sa publication en 1963 le potentiel cinématographique de cette histoire, parabole et critique implacable sur l’être humain. Le scénariste d’abord choisit pour l’adapter à l’écran fut d’abord Rod Serling. Choix logique et parfait puisque Serling, créateur et showrunner de The Twilight Zone (1959-1964) n’avait pas hésité à montrer dans "People Are Alike All Over" (Épisode 25 de la saison 1) mais surtout dans "I Shot an Arrow into the Air" (Episode 15 de la saison 1, où le point de départ et la finalité sont similaires) sa fascination pour les thèmes abordés dans le livre. Seulement Serling, trop ambitieux, a été refusé par la Fox, son script étant anticipé comme trop couteux. Finalement le scénario est remis dans les mains de Michael Wilson, un ancien recalé au départ, qui tâchera de garder intact le twist final de Serling, jugé plus iconique et plus puissant, et qui diffère de celui du livre, qui sera repris en 2001 plus littéralement par Tim Burton dans son piètre remake.
1968, en pleine guerre froide, course à l’espace entre les USA et l’URSS, le film sort et devient un classique instantané. Près d’un demi-siècle plus tard, la première demi-heure dégage la même force et s’impose comme une introduction parfaite à tous les thèmes qui vont être abordés tout le long du film. La scène de crash, impressionnante, impose le ton effrayant que tente de relayer par le son la musique de Jerry Goldsmith. La caméra de Schaffner aspire les trois scientifiques dans ce qui ressemble tout de suite à un désastre annoncé et par son aspect "bocal" rend ces trois hommes d’une cruelle insignifiance. Par ses plans larges, il les transforme en des pauvres insectes enfermés dans un piège dont ils ne sortiront jamais. Le début est très symbolique, amorce les théories sur le temps, sur la véracité des faits et surtout le principe d’ironie, imagée par ce drapeau planté dans le désert enchainé par un rire assourdissant et cynique de George Taylor campé par Charlton Heston.
« You can’t trust the oldier generation »
Arrive alors le premier grand moment avec la chasse aux aborigènes, premier pied de nez d’une longue série, celui ci faisant allusion à une des "hérésies" humaines: la colonisation. Ce fait d’effacer une population considérée comme sauvage ou inférieure et d’imposer sur ces terres ses propres chaines de valeurs et de traditions. Le thème est ancestral et le propos implacable. Le visage des dominants est dévoilé et l’ironie pointe le bout de son nez: il s’agit de singes. L’inversion des pôles est effective et laisse la porte ouverte au propos qui va se répandre et se préciser en abordant l’évolution, le rapport entre la religion et la science et par là le déni humain de l’évidence scientifique. Le film renvoie aux pages de l’histoire où l’homme était dénué de recul et refusait de voir la vérité en face. Les singes vont porter ce regard historique jusqu’à la toute fin où Taylor se chargera d’égaliser les torts en rationalisant le fautif. La violence et la brutalité dont font preuve les dominants prouvent la justesse du regard, accroissent le côté impressionnant du rendu et renvoient à d’autres pages du passé, celui qu’on enterre et que l’on veut effacer de sa mémoire. Du temps où l’homme, race dite supérieure aux autres espèces et à la plupart des composants de son propre genre, est allé d’éradiquer, à décortiquer et jusqu’à vouloir façonner à sa propre image tous ceux qui s’en diffèrent. Le film parle de l’obstruction de la vérité, celle de la différence, qui cache une peur violente et injuste de l’inconnu, de l’autre ou du savoir que l’on veut cacher à soi et aux autres. Il parle aussi du rôle de la religion, qui sert aussi à bloquer la rationalité des faits en imposant la croyance au profit du reste.
Mais comme l’a prouvé justement l’Histoire, l’espoir vient de ceux qui résistent. Les fuites de Taylor, aidé par deux singes naïfs mais purement bons, sont d’autres grands moments d’action animés par cette musique parfaitement adaptée à tout ce qui se passe. La projection du spectateur est presque automatique car il se retrouve dans la nature humaine du héros face à l’ennemi et partage donc aussi sa frustration devant l’aveuglement des singes qui ne veulent pas le reconnaitre. Les décors, les costumes sont parfaits, le visage des singes est bien dessiné mais on ne peut s’empêcher de voir le masque car on sent trop le plastique coller aux joues des acteurs, on l’entend agir sur leur prononciation et le mythe s’effrite assez vite. Mais la dramaturgie bien présente, se renforce et avance jusqu’au point de non retour et cette fameuse plage laissant Taylor crier avec dépit sa haine envers son destin et ses semblables, qui garderont toujours le don de s’enfermer eux-mêmes dans leurs contradictions. Le twist final est connu de tous, prévisible mais finalement logique dans le cheminement de l’histoire racontée car il se corrèle à tout le propos, finissant de renverser le pôle et de remettre le monde à l’endroit, de retirer le filtre et de dégager la vue. La fin est comme le début, symbolique, et la boucle et bouclée. Parfait.
Planet of the Apes, film culte et miroir cruel, critique brutale mais nécessaire, pédagogique de la nature humaine vue par le prisme de la science-fiction. Un must-see.
PS: Pour les amateurs de la série Lost, on retrouve beaucoup de thèmes dans le film comme la science défiant la croyance mais plus encore : dans les situations comme les cages destinés aux humains (saison 3), les aborigènes du début comparables aux "autres" des saisons 1 et 2, les figures d’Adam et Eve et le thème de la genèse qui va avec, présent dans toute la série ou encore la grotte en face de la mer où se cachent tous les secrets sans parler de l’icône géante et symbolique plantée dans le sable. A bon entendeur.
9/10