Paris, TexasWim Wenders — 1984
8/10
Attention: légers spoilers
Alors que son titre laissait présager un film se déroulant entièrement dans la bourgade de Paris, Wim Wenders ne nous montrera de cette ville qu'une photo trimballée tout au long du récit par Travis, le personnage principal. Une photo d'un petit coin perdu de terre aride… Car Paris, c'est avant tout un endroit idéalisé par Travis, censé être là où ses parents se sont rencontrés et où il a été conçu. Paris, c’est l’image fantasmée d'un impossible retour vers un passé à jamais perdu…
Le film va se concentrer sur la rédemption de Travis (Harry Dean Stanton), un personnage qui, par sa propre faute, a perdu la femme qu’il aimait ainsi que son fils et va essayer de réparer ses erreurs. Le métrage commence avec son protagoniste errant tel un zombie dans les plaines du désert de Mojave. Un personnage ne souhaitant s’adresser à autrui et qui ne prononcera pas un mot avant un bon quart d'heure de film. Tout le film va s’efforcer de redonner une motivation à Travis: ramener son enfant auprès de sa mère.
Paris, Texas est encadré par ses deux plus belles séquences. Toute la première partie, qui scelle les retrouvailles entre Travis et son frère incarné par Dean Stockwell, est véritablement fascinante. Stockwell incarne un substitut du spectateur, s’interrogeant sur le but de l’errance de Travis, ce qu'il cherche, qui il est devenu et pourquoi, etc. Wenders magnifie ses paysages, perdant ses personnages dans de vastes et superbes étendues désertiques.
Le métrage se conclut par les retrouvailles entre Travis et Jane (Nastassja Kinski), chacun situé de part et d'autre du miroir sans tain d'un peep show. Cette scène constitue le point d'orgue émotionnel du film. Durant une bonne vingtaine de minutes, elle va se composer non pas d'un dialogue où les protagonistes échangeraient sur leurs sentiments, mais de deux monologues où ils vont exprimer l'un après l'autre ce qu'ils ressentent, comment ils ont vécu leur vie ensemble et leur séparation. Une partie qui nous dévoile également l’homme que Travis a été, en contraste avec celui qu’il est devenu. Le réalisateur filme ses deux acteurs dans de longs plans continus qui captent à merveille les magnifiques prestations de Stanton et Kinski.
Entre ces deux moments-clés, Paris Texas va se composer d'une succession de tranches de vie qui vont nous apprendre à cerner la personnalité de Travis, sa relation avec son fils de 8 ans, joliment interprété par le jeune Hunter Carson (fils du coscénariste L.M. Kit Carson et de Karen Black), et le rapprochement progressif entre père et fils. Wim Wenders imprime un tempo lent, nous donnant le temps de nous familiariser avec ses protagonistes. Les personnages possèdent des fêlures, un côté cassé par la vie qui en font des figures tragiques fascinantes à suivre. Et le film de se conclure sur de belles et pudiques retrouvailles sous l'oeil distant de Travis.
Stanton trouve là l'un de ses plus belles compositions, lui qui est trop souvent relégué à des rôles de second plan: celle d'un homme qui a causé sa propre perte et va tenter de se racheter quitte à être lui même laissé sur le bord de la route. Quant à Nastassja Kinski, elle illumine le film l'espace de deux scènes-charnières.
Une oeuvre fascinante à laquelle je reprocherais 2-3 passages pas forcément nécessaires et une interprétation limite d'Audrey Clément, illustrée par une très belle partition évocatrice de Ry Cooder.