Difficile de parler d'un film qui s'exprime de manière aussi sensorielle que ce
Santa Sangre, mais je vais essayer... Première incursion pour ma part dans le monde torturé et passionné de Jodorowski, ce dernier m'a totalement accroché par sa proposition esthétique, qui s'impose par sa fougue formelle et ses libertés narratives, bien qu'on croise ici et là des références connues, comme le cinéma de Fellini avec sa vision du monde du cirque, et le gallio, tout au service de ses idées les plus folles d'artiste accompli.
Pour résumer, nous suivons le point de vue d'un garçon qui a assisté à une bagarre extrêmement violente de ses parents, et se retrouve à l'asile. Je n'en dis pas plus pour conserver le mystère qui entoure une intrigue dont l'intérêt n'est pas l'histoire en elle-même, mais les délires formels et fantasmagoriques que cela permet, avec un matériel en constante réinvention, sans concession d'aucune sorte. Dès le départ, on peut sentir l'amour de l'auteur pour ces
freaks, ces bizarreries de la nature qui peuplent entièrement la bobine. La relation entre le jeune magicien pris entre ces deux figures passionnées que sont ses parents vouant un culte démesuré à leur art, et cette jeune sourde-muette soumise au sadisme de sa tutrice tatouée de la tête aux pieds, m'a particulièrement touché, avec des séquences tendres et poétiques en relation avec la libération d'une âme en peine, en plein conflit oedipien, qui ne trouvera de réconfort qu'à la toute fin.
D'autre part, ce cinéaste atypique et insoumis met un bon coup dans la fourmilière, ridiculisant la religion et les institutions, durant des séquences absolument jouissives (les trisomiques qui sont invités à une petite fête politiquement incorrecte, ou cette église qui voue un culte étrange à un saint non répertorié et subit ainsi la violente répression de l'évêque). Tant dans la forme que dans le fond, Jodorowsky ne cesse d'expérimenter de nouvelles idées, de briser la monotonie du quotidien ou de l'oppression de la réalité, le milieu du cirque étant propice à ce contre-poids, et qui apporte au spectateur des émotions extrêmement variées, l'étonnement et la surprise étant les plus persistantes, mais aussi l'émerveillement qui surgit des formes les plus étranges et parfois effrayantes au premier abord. Bien que la linéarité du récit ne soit pas trop perturbée, les ruptures de ton sont nombreuses, avec des thèmes en filigrane que j'ai trouvé magnifiquement traités à l'image, comme la métamorphose, le sentiment de la perte primordiale d'êtres et d'un monde chers (la séquence de l'éléphant, elle reste en mémoire, ainsi que la relation entre la femme-tronc et cet homme qui lui prête ses mains), ou la libération, à travers ce qui s'apparente au fond comme une initiation spirituelle protéiforme portée par des images fortes et symboliques.
Il paraît que c'est l'une de ses oeuvres les plus faciles d'accès, mais je me suis déjà pris une belle baffe dans la gueule. Un film qui marque les esprits par son mouvement tourmenté, vitaliste, surprenant, avec une géniale formulation (le rapport aux mains) de la transformation identitaire de l'enfant vers la destination trouble de l'âge adulte. Immense chef-d'oeuvre fou, surréaliste, qui prend aux tripes, totalement habité par des acteurs qui donnent de leur personne, et boostée par une bande-son magnétique et hypnotique.
Note : 9.5/10