Premier opus de la trilogie du milieu, Milan Calibre 9 pose les bases d’une période charnière pour le crime organisé italien. S'inscrivant directement dans le climat noir des polizieschi italiens des années 70, il y en question de la fin d'une époque où l'honneur imposait d'instinct aux truands un code de conduite régissant leurs confrontations. Milan Calibre 9 symbolise un changement radical des mentalités, la relève criminelle étant faite de gagne-petit uniquement intéressés par la couleur des billets qu'ils espèrent amasser en grande quantité. Dans cette optique, tous les moyens sont permis, du massacre sans état d'âme d'innocents à la trahison bas du front de ses propres frères.
Ugo Piazza symbolise à merveille cet entre-deux un peu bancal. Empli de respect pour cette mafia qui l'a façonné mais sans foi ni loi lorsqu'il est question du groupe organisé dans lequel il s'est engagé alors que sa famille de coeur a du rendre les armes. Cette dernière, représentée par un parrain aveugle, à qui plus personne ne rend visite, est en telle perte de vitesse qu’elle est sur le point de disparaître. A part un coup de croc furtif, qui sera tout de même un ressort dramatique important du film, l'état de celle qui a peuplé de sa violence tous les plus grands films de gangster fait peine à voir. Son seul représentant encore en vie est pourtant le personnage le plus respectable du film. Chino, hitman mystérieux ne tremblant devant personne, qui portera la mort, tel un commando surentraîné, dans un jardin ennemi sans qu'on l'y invite est superbement dosé par Fernando Di Leo. Sa tragique fin, forte de sens puisqu'elle concrétise véritablement le passage du flambeau entre code d'honneur et opportunisme cupide, est joliment amenée.
Elle est à mon sens l'essence même de Milan Calibre 9, puisqu'elle porte enfin cette réponse à la question qu'on se pose depuis plus d'une heure quant à l'intégrité de Ugo Piazza. A cet instant précis, le doute n'est plus permis, il n'existe plus d'âme intègre chez les pourris. Dès lors, quand le rideau final s'abat avec fracas sur une scène jonchée de corps meurtris, c'est finalement le seul personnage pour qui l'on pouvait éprouver du mépris que l'on se prend à apprécier le plus. Rocco Musco, détestable en diable depuis la première minute de film, semble être le seul à qui il reste un soupçon d’intégrité mû par ce vieux code d'honneur du gangster.
Milan Calibre 9 pourra déstabiliser ceux qui en espèrent un polar nerveux dont l'action est l'ingrédient principal. Bien loin de simplement vouloir mettre en oeuvre la violence qui caractérise les truands qu'il anime, c'est bien plus l'état d'une société en perte de vitesse qui intéresse Fernando Di Leo. Les multiples discours très engagés qu’il porte aux lèvres, à la fois des gangster mais aussi des policiers — qui s'opposent à travers deux personnages antithétiques (Gauche et discours sociale contre Droite et idées radicales) — de son film, sont l'occasion pour le réalisateur de signer avant tout une critique sociale peu complaisante, en prenant soin de tacler au passage les riches castes donneuses de leçons qui n'ont pas conscience de l'état délabré des sombres ruelles qui ornent leur ville.
Animé par un sens du cadre qui ravira les amateurs de belles images, il ne manque qu’une once de fougue à Milan calibre 9 dans sa forme pure : est à regretter en effet un petit manque d’ambition du côté de sa mise en scène, qui se contente d'épouser son sujet, même si c’est fait avec efficacité. Cette réserve étant posée, que l’on se rassure, Fernando Di Leo possède un savoir-faire indéniable et son coup d’œil affûté lui permet de transformer Milan Calibre 9 en un joli terrain de jeu dont le sol est foulé par un défilé d'acteurs terriblement revigorant. Gastone Moschin apporte à son personnage une ambiguïté qui fonctionne même s'il manque d’un zeste de charisme pour tenir la distance en tant que lead acteur. Pour preuve, il se fait voler la vedette assez facilement par un Mario Adorf croustillant, qui possède à la fois une tronche qu'on ne peut oublier et une énergie dévorante qui file la patate. Pour parfaire le tableau, l'inquiétant Americano trouve en Lionel Stander les traits rageurs de sa ganache sympathique et la touche charme de l'entreprise est apportée par la pulpeuse Barbara Bouchet, cette dernière nous dévoilant généreusement ses jolies formes à l'occasion d'un lap dance stimulant — mais sage gasp ! —.
Milan Calibre 9 porte la marque d'un auteur intéressé, à la fois par les personnages qu'il dépeint — cela se sent notamment dans la façon qu’il a de les faire monter en puissance — que par le contexte narratif qui leur permet de grandir. Oeuvre pessimiste et revendicatrice, au rythme puissant qui ne souffre d’aucun temps mort, elle constitue une fondation solide pour les deux films qui la suivront. Espérons simplement que ces derniers seront taillés dans le même bois. Dans tous les cas, je pourrai y retrouver avec joie Mario Adorf, je m'en réjouis d'avance.