Il y a une appréciable volonté historique dans Le grand attentat. Eiichi Kudo y prend grand soin de développer, avec précision, chaque intérêt en présence afin que l'on puisse en cerner tous les enjeux. En s’attardant sur quelques personnages, tous des rebelles en plein préparatifs de l'attentat à venir, il nous fait comprendre ce qui peut bien motiver chacun d'eux. Ceux dont la vie est rendue invivable au quotidien, par des décisions d'état qui ne font qu'affaiblir le peuple, agissent devant l'urgence de la situation. Un coup d'état visant à supprimer la tête dirigeante de leur pays leur semble être la seule solution viable. Ils composent le corps de la rébellion, et tentent, dans l'ombre, de recruter les âmes blessées qu'ils rencontreront sur leur chemin. C'est ainsi que se fait recruter Jinbo, samouraï bourgeois, celui par qui Kudo nous ouvre la porte de ce monde sous terrain. Ayant vu sa vie basculer suit à une bavure policière qui a coûté la vie à sa femme, l'homme considère son pays et son gouvernement d'un autre oeil, et va accepter de s'investir dans la résistance en espérer y trouver justice.
Cette volonté qu’a Kudo de reléguer l'action au second plan, au profit des intérêts politiques qui mènent à l'attentat, est on ne peut plus passionnante. En nous invitant à planer au dessus de l'échiquier sur lequel tous les hommes de pouvoir essayent de se positionner le plus favorablement possible, le cinéaste prend son temps pour mettre en place chacun des pions dont l'importance sera décisive en fin de parcours. Lors de cette ultime partie, chaotique mais nerveuse, ils joueront enfin tous leurs rôles. Épée à la main, le coeur à 312 moins l'âge, il n'y pas plus qu'à sortir le katana du fourreau et à swinger.
En dehors de son galop de départ, l'attentat se révèle être particulièrement amateur, sans aucune coordination. La mise en scène de Kudo épouse, sans état d’âme, sans aucune envie d’être esthétique, ce brouillon rendu uniquement possible par la rage et l’espoir de ses participants. Sa caméra tremble, virevolte comme elle peut dans la masse armée qui s'échange balafres sur balafres, espérant faire mouche à chaque mouvement. Lorsque les armes touchent enfin terre, que les esprits s’apaisent, le constat est amer, les corps sont statiques, griffés de coups meurtriers, des rebelles, il ne reste plus personne.
Mais au sein de ce noir bilan, au moment où tout semble être fini, à cet instant où l'injustice semble avoir triomphé, Kudo sort son Joker, et porte le coup fatal en se permettant d'illustrer par la même occasion la vraie voie du samouraï. Cet homme, qu'il a présenté comme une âme désintéressée de tout, celui qui vit au jour le jour grâce aux gains qu'il réalise au jeu, décide alors de braver l'autorité, de faire justice lui même à ces individus qu'il a côtoyés et qui sont mort pour leurs idéaux. La scène est puissante, très forte en symbolique, de celle qu'il est impossible d'oublier.
Le grand attentat ne jouit pas de la fougue visuelle d'un auteur comme Gosha ou Kurosawa, mais il possède un point de vue assez singulier. Kudo y déroule ses dialogues comme un fin stratège, autant qu'il filme, avec discrétion, dans l'intimité, toutes les lèvres qui les véhiculent, avec un joli coup d'oeil. Une oeuvre qui manque peut être d'un soupçon de percussion, dans ses duels notamment, qui peut paraître un peu exigeante par moment — il faut faire l'effort de concentration pour réussir à cerner tous les personnages et les enjeux qui les motivent —, mais qui saura récompenser, par sa fin fracassante, celui qui s'y investira.