Pola X de Leos Carax (1999) - 7/10
Drôle d’énergumène que ce Pola X. Leos Carax s’est lâché, ne s’est pas imposé de barrière, se dévoile presque à travers ce personnage de Pierre, sorte d’écrivain maudit qui n’a qu’une seule envie qui est celle d’entrevoir la vérité, de retourner à un certain état de nature pour comprendre enfin le véritable monde dans lequel il vit. Ecrire sans préjugés, créer sans fausse note, inventer en toute osmose. Sauf que cette fois ci, il y a un je ne sais quoi qui ne fonctionne pas tout à fait dans Pola X, comme si le réalisateur s’était trop identifié dans le parcours de cet auteur un peu bohème qui oscille souvent avec la parodie. Leos Carax fait du Leos Carax. Un homme qui rencontre une femme, l’amour intransigeant et viscéral comme lien, la société n’y a peu d’importance. Pola X est une sorte de conte enchanté, désenchanté, avec ce beau château perdu dans une forêt foisonnante, avec cet homme, tel un prince à la chevelure blonde saillante, sa fiancée à la beauté naturelle, sa mère seule et aimante. Pola X est visuellement toujours aussi travaillé, les acteurs jouent leurs partitions avec le phrasé habituel du cinéma du réalisateur français.
Chez Denis Lavant, Julie Delpy, ou Juliette Binoche, cette sonorité vocale était presque naturelle, d’une évidence presque détectable à la première syllabe. Avec Guillaume Depardieu, on ne ressent pas cette envergure. Puis alors que son mariage est presque bouclé, il fera une rencontre qui fera tout basculer. Une femme, une brune vagabonde au visage céleste. Il partira avec elle, malgré vents et marées, pour vivre une existence presque naturaliste et de dévotion. Cette rencontre est à l’image du film, symbolise même l’essence de cette œuvre qui ne connait pas la nuance. Visuellement cette scène, entre ombre et lumière dans la nuit noire, deux âmes en peine qui se suivent et s’écoutent, rappellent Le Lac de Philippe Grandrieux, c’est cinématographiquement très beau. Narrativement, ça l’est un peu moins, notamment dès que cette mystérieuse inconnue commencera à parler un français doté d’un accent gutturale de l’Est assez gênant (« tu n’es pas seuleuhhh », « je m’appelle Isabelleuh »). On tombe dans le film d’auteur à la française assez parodique.
Pola X, c’est ça d’un bout à l’autre, une œuvre qui marche en boitant entre magie et ridicule, qui ne se cache pas, un long métrage nu de toute arrière-pensée, en roue libre qui arrive à s’envoler mais aussi à se taper le mur en béton en pleine tronche. Derrière ce dandysme un peu daté, cet auteurisme très accentué, Leos Carax filme du Leos Carax. C’est rempli d’une humanité débordante, l’amour comme seule volonté de s’exprimer, d’une émotion vacillante et explosive, d’une poésie parfois soudaine, de ces moments de vie imprégnés d’une grâce familiale touchante comme cette séquence dans un petit restaurant ou d’une sensualité fougueuse (la scène de sexe est magnifique), une dramaturgie phosphorescente à partir de rien. Graphiquement, il arrive parfois (souvent) à y distiller une énergie poétique enivrante, notamment à travers ces échos musicaux somptueux qu’on reverra dans Holy Motors. Le style de Carax est toujours présent, mais patibulaire, à la fois agonisant et chevaleresque. Pola X est une sorte de chef d’œuvre complétement raté, un brouillon d’un gamin trop sûr de lui dont le naturel trafiqué n’en reste pas moins fascinant.