Le cinéma de Maurice Pialat a la réputation d'être austère et est parfois catalogué comme « intello-chiant ». Je suis en total désaccord avec cette vision, tant il me semble, au contraire de certains cinéastes habitués au « chantage au réel », que Pialat parvient à approcher la réalité tout en gardant un langage très cinématographique. D'où une ambiguïté, celle d'être face à des scènes que l'on croirait être réelles sans pour autant que l'on puisse croire avoir zappé sur un numéro de Confessions Intimes. Le soin apporté à l'épure visuelle, qui participe de la tristesse du quotidien qu'il dépeint et sa magistrale direction d'acteur en font un cinéaste essentiel. C'est ce qu'il démontre une nouvelle fois avec Loulou, histoire d'une rupture puis d'une réconciliation amoureuse, fortement inspiré de sa propre vie.
Nelly, jeune femme rangée et mariée à un homme plutôt aisé s'ennuie et traîne les bars jusqu'à devenir l'amante de Loulou, jeune homme vif et plein de vie, menant une vie de traîne patin entre bistrots, bagarres et escapades sexuelles, soit l'inverse total de son époux. Les deux amants s'installent, vivent ensemble jusqu'à ce que Nelly tombe enceinte. La nouvelle est accueillie avec joie par Loulou, mais voilà, sans que l'on sache clairement pourquoi, Nelly finit par avorter, quitte Loulou et revient au point de départ. Ce qui est sans doute le plus impressionnant dans le film est l’honnêteté avec laquelle Pialat décide de raconter cette période de sa vie. Lui aussi a vu sa femme le quitter pour un jeune voyou et plutôt que de se livrer à une œuvre vengeresse, il aboutit à un film à la gloire de l'amant de son épouse. En effet, bien que n'étant jamais manichéen (la tentation de la misogynie aurait facilement pu survenir), c'est clairement Loulou qui apparaît comme le personnage le plus humain et attachant du film. Il est le seul qui ne cherche pas à manipuler l'autre et est au final la victime des rapports entre Nelly et son mari, André. Il n'a pas d'illusion sur sa relation (« je ne suis qu'une queue pour elle » dit-il à un de ses amis) mais décide de la vivre passionnément et est prêt à se projeter avec l'enfant que son amante attend. Le film est aussi un récit de la barrière que peuvent constituer les classes sociales dans les relations amoureuses : malgré toute sa volonté et sa sincérité, Loulou ne parviendra rapidement plus à apporter à Nelly le « frisson » qu'elle était venu chercher.
Inutile de dire que la prestation de Gérard Depardieu, toute en force et dureté mais qui laisse deviner un énorme cœur confère au film l'étrange sentiment de voir le personnage se confondre avec la personne de l'acteur. On ne sait si il est naturel ou si il joue. A ses côté, Isabelle Huppert en jeune femme qui s'ennuie et tente de donner un peu d'éclat à sa morne vie est très vite attachante. La surprise revient tout de même à Guy Marchand, trop rare au cinéma, bouleversant dans le rôle de l'époux trompé que l'on sent détruit par cette séparation et qui fait tout pour récupérer sa femme (tout en feignant d'y être insensible) quitte a la manipuler ou à rabaisser Loulou sans avoir l'air d'y toucher. Comme toutes les œuvres de Pialat, ce n'est sans doute pas un film que l'on voit avec « plaisir », mais c'est clairement une séance brutale et qui laisse réfléchir longtemps après.
7,5/10