Influencé par la Nouvelle Vague qu'il sublime une nouvelle fois, Richard Linklater réussit à nous connecter à ses personnages principaux à chacun de ses films. On retrouve ainsi tout ce qui a fait l'intérêt des "Before", à savoir des dialogues brillants, pertinents, et plein de sous-entendus, une caméra centrée sur eux en quasi temps réel mais qui capte aussi l'atmosphère alentour (ici le paysage ensoleillé de la Grèce), et un casting épatant de spontanéité et de naturel. Expert dans tout ce qui touche au sentiment amoureux, il nous prend d'assaut cette fois-ci avec la crise de quarantaine autour de nouvelles responsabilités qui sont tombées sur le couple sans prévenir (obligations professionnelles, parentalité, famille recomposée, etc.). Mais il est loin de se contenter de cela, en nous offrant des temps de respiration, et des réflexions diverses de ce qui compte à cet âge (oui, le sexe, mais pas seulement), qui culminent durant ce tour de tables où toutes les générations sont représentées, avec un superbe discours de ce qui fait durer un couple, et une touche bienvenue de légèreté et d'humour qui permettent aux dialogues très présents une certaine fluidité. Et puis j'oubliais tout le rapport de l'écrivain à la fiction et au réel qui est tout proprement l'un des meilleurs que j'ai vu au cinéma, qui est un peu le fil rouge entre les deux derniers films de la trilogie, et m'a beaucoup interpellé sur la façon dont on peut parfois trop romancer les choses, voire même se perdre dans les nuées, mais aussi rendre capable de saisir des petits détails qui ont toute leur importance.
Ce qui est étonnant, c'est de voir à quel point on déconstruit ici l'idéal du couple où chacun devrait trouver son compte, alors qu'au fond chacun vit avec des problèmes insolubles. Lorsque vient la dispute conjugale qui occupe le milieu du film, on est triste pour eux, car il ne faut pas oublier que l'un des principaux intérêts de cette trilogie, c'est la manière dont notre propre vie se reflète au travers de leurs problèmes personnels, qui nous paraissent si percutants de vérité. Et pourtant Lindkater parvient à ne pas nous prendre de haut ou à rendre misérable cette situation de crise. Avec un certain réalisme, il montre combien le point de vue de chacun peut être relatif et donc valable, et ce faisant, il évite l'écueil du manichéisme. Tout est affaire de perception semble-t-il affirmer (les niveaux de discours s'enchaînent avec talent, entre féminisme, romantisme, pragmatisme, etc.). Ainsi, la particularité de ce
Before Midnight, c'est la fragilité de ses personnages qui se rendent compte que dans le couple, rien n'est parfait, et qu'un rien peut tout détruire si aucun compromis n'est trouvé. Et nous les quittons en plein milieu d'une scène, en se souvenant de l'un des dialogues que tout est passager, avec une petite musique intimiste du plus bel effet. Certainement le plus crépusculaire et amer des trois, même si l'espoir est toujours là, et surtout que malgré les changements et les difficultés, l'étincelle amoureuse persiste, d'un éclat désenchanté. Ce mélange délicat et brut à la fois est ce qui en fait sa beauté.
A l'issue de cette trilogie, Richard Linklater réussit une belle prouesse en livrant un tel niveau de qualité, de sincérité, et de richesse, et ce sans jamais se répéter tout en créant des liens subtils entre les trois films, dans ce qui constitue le sentiment amoureux, son évolution, et le regard que nous pouvons avoir à travers les trois décades qui y sont représentées. A revoir sans modération pour notre propre bien, non seulement pour leur profondeur et leur actualité intemporelle, mais aussi leurs moments de grâce, et le plaisir de retrouver l'un des plus beaux et crédibles couples de cinéma.
Note : 8.5/10