Jersey Boys
Clint Eastwood, 2014
3 faits avant d'expliquer la note :
1) je suis un inconditionnel de Clint
2) je n'avais pas vu de film depuis deux semaines
3) je n'avais pas été au cinéma depuis janvier
Bref, ce film, j'avais envie de l'aimer avant de le voir, même si je n'osais pas en attendre grand chose. Et pourtant, ça a été une très bonne "surprise"; oui, Clint n'invente pas l'eau chaude avec ce film, mais je me suis complètement laissé emporter par cette histoire, mélange étonnant de succes-story musicale et de rise and fall scorsesien. Eastwood reste fidèle à son style, sobre et classique (hormis à la toute fin, il ne faut pas s'attendre à des morceaux de grand spectacle façon comédies musicales - et c'est tant mieux j'ai envie de dire, je ne voyais pas trop Eastwood là-dedans); le travail de Tom Stern à la photo est toujours remarquable, la reconstitution d'époque est très sympa, et le ton du film est étonnamment drôle (plus tellement l'habitude de voir ça chez Eastwood). Enfin, les quatre acteurs principaux, que je ne connaissais pas du tout, sont impeccables - mention spéciale à Vincent Piazza. Christopher Walken est excellent, on regrettera seulement de ne pas le voir dans un plus grand nombre de scènes.
Jersey Boys s’inscrit dans la lignée des œuvres d’Eastwood sur le temps qui passe, quelque part entre
Bird et
J.Edgar. Ces deux films semblaient dire qu’une vie ne peut se résumer de façon chronologique, utilisant une narration déstructurée afin de lier des événements parfois éloignées par des décennies ; l’importance d’un événement ne se comprend pas toujours à l’instant où on le vit, et notre perception des faits évoluera avec le temps. Dans
Jersey Boys, la narration croisée, avec les différents intervenants qui parlent directement à la caméra en plein milieu d’une scène, racontant le parcours des Frankie Valli et de ses comparses depuis les petites combines dans la rue jusqu'au sommet de la gloire, joue d’ailleurs pour beaucoup dans l'intérêt du film. Ainsi, au lieu d’utiliser la voix-off, on se retrouve avec des personnages qui semblent conscients de leur futur au moment où ils vivent l’action, ce qui casse quelque peu l’aspect linéaire de la narration et crée une réflexion plus amère sur la carrière du groupe.
En effet, comme souvent dans ce genre de films, on constate que plus le groupe monte vers la gloire, plus il se désagrège ; au final, il ne reste que les regrets, ceux des débuts, quand la vie était plus simple car tout restait à construire. Peut-être Eastwood ressent-il cela également, lui qui, à 84 ans, a le sommet de sa carrière derrière lui ; aussi, la petite citation personnelle qu’il se permet – alors au début de leur carrière, un des membres du groupe regarde à la télé « Rawhide », la série qui a révélé le jeune Clint – l’identifie d’une certaine manière à ses personnages.
Eastwood ne l’a jamais caché, la musique et les musiciens constituent une de ses grandes passions ; avec
Jersey Boys, il semble avoir voulu se faire plaisir, filmant l'époque et la musique de sa jeunesse. Certains auront peut-être du mal avec le style musical; on est loin de
Bird ou de
Honkytonk Man. Mais le charme de l’époque, du style, et le traitement sans extravagance réservé à cette histoire font passer outre (enfin, moi j’en étais à fredonner les airs en sortant du cinéma
).
Le film n’est pas exempt de défauts : en se concentrant sur la carrière du groupe et son futur éclatement, on délaisse les personnages de la femme et de la fille de Frank Valli, ce qui nuit aux quelques scènes où elles apparaissent. On ne s’intéresse pas beaucoup à la vie privée de Valli, alors qu’un traitement plus élaboré aurait donné une touche émotionnelle plus forte à l’ensemble du film. Dommage, mais ça ne gâche pas le très beau final (quoique certains maquillages ne rappelleront pas de bons souvenirs aux détracteurs de
J.Edgar) d’un film particulièrement touchant dans la filmographie d’Eastwood.
7,5/10