Lone Ranger
Gore Verbinski, 2013 – 8/10
Film caillassé par la critique, désastre financier, Lone Ranger a pourtant une vraie personnalité, des éléments qu’on ne pourrait trouver nulle part ailleurs. Et n’est-ce pas pour cela qu’on regarde et qu’on aime certains films ?
Par exemple, contrairement à la plupart des blockbusters où la violence est édulcorée ou passée hors champ, Lone Ranger a une indéniable noirceur, assumée frontalement, qu’il s’agisse de la violence bestiale du méchant ou du cynisme des financiers auxquels il est allié. Point plus intéressant : cette noirceur est ancrée dans une dimension mythologique. L’indien Tonto (Johnny Depp) voit dans le méchant l’incarnation du Wendigo, une divinité cannibale et dans le héros John Reid dont il fera le justicier masqué du titre, le retour sur terre d’une divinité positive, seule apte à triompher du Wendigo. Cette dimension mythologique a constamment un double visage, à la fois sérieux et complètement décalé, Tonto en particulier étant un personnage ambigu, à la fois ridicule et douloureusement sincère. « Décalé », ai-je écrit et non pas comique ou ridicule. Je m’explique : jamais cette dimension mythologique n’est ridiculisée jusqu’à être sabordée. Même dans les moments où elle semble la plus douteuse, elle maintient tout de même une sensation de vraie étrangeté, qui intrigue. La même atmosphère étrange en fait qui caractériserait les scènes de l’antre de Davy Jones dans le troisième Pirate des Caraïbes.
Lone Ranger est aussi un film profondément jouissif. Et là encore (bis repetita !) n’est-ce pas pour ça aussi qu’on regarde et qu’on aime des films ? Vraie jouissance méta : le film accumule les références westerns mais ce ne sont jamais des clins d’oeil appuyés, des allusions goguenardes ou des coups de coude « tu l’as vue, ma grosse référence ? » Un exemple parmi d’autres : la musique, géniale, se rapproche souvent des thèmes d’Ennio Morricone pour Sergio Leone, sans jamais les reproduire. Quelques notes semblent annoncer le thème de Il était une fois dans l’Ouest mais partent ensuite dans une autre direction. Jouissance enfin du mouvement, de la vitesse, de l’acrobatie. A ce titre, la dernière séquence est dantesque. Le héros saute à cheval de train en train, Tonto tournoie au-dessus des rails. Tout est abracadabrant et assumé comme tel. Tape-à-l’oeil est assumé comme tel. C’est complètement irréaliste, mais on s’en fout. Le cinéma est art, jouissance de la vitesse et du mouvement. En cela aussi, Lone Ranger est formidable.