HER
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Spike Jonze (2014) | 8/10
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Her a ce petit trait singulier qui construit les films dont on se souvient. Son propos n'est pourtant pas inexploité, mais rarement il a été aussi subtilement mis en image. Spike Jonze parvient à trouver une harmonie remarquable entre fable d'anticipation et critique sociale d'une société moderne qui tend vers l’impersonnalité. A travers les yeux d'un Joaquin Phoenix remarquable, il illustre avec poésie la vie d'un homme en plein deuil amoureux qui tente de reprendre ses esprits pour combattre la solitude dans laquelle il s'est laissé sombrer. La remarquable tenue de son film, dans son intention très contenue d'abord et dans sa mise en scène, très graphique, ensuite, impose le respect. Spike Jonze contient sa fougue créative et préfère jouer la carte de la subtilité à celle de la proposition graphique intarissable, comme il avait pu le faire dans son explosif la vie de John Malchovich.
Her est marqué par un regard contemplatif qui semble hors du temps. Difficile d'ailleurs de savoir combien de temps cette tranche de vie s'accapare et peut être est-ce parce que ce paramètre n'est pas donnée utile au propos que développe Jonze. Seuls lui importent les sentiments et plus généralement tout ce qui caractérise le genre humain. Et c'est l'amour improbable mais pourtant palpable qui naît entre un humain fait de chair et de sang et Samantha, une intelligence artificielle faite d'énergie pure, qui constitue l'échantillon témoin de Jonze.
Ce qui frappe d'emblée dans Her, c'est qu'on accepte rapidement ce dont il est question. A l'ère du tout numérique, le film de Spike Jonze sonne presque comme un work in progress que l'on pourrait déjà consulter en ligne aujourd'hui. Que ce soit l'ensemble des interfaces pilotées vocalement ou le système d'opération intelligent, on tend à s'en rapprocher de plus en plus. Dès lors, quand le personnage incarné par Joaquin Phoenix se prend d'affection pour cette voix suave assoiffée de découverte qui organise son agenda, cela ne semble jamais si improbable. Et c'est à ce niveau que Jonze fait preuve de subtilité. Il ancre son film dans une réalité anticipée mais terriblement crédible, à tel point qu'on remet rarement en question ce qu'il nous propose à l'écran. Un joli tour de force qui fait basculer Her dans la réflexion sociale bien plus que dans le film d'anticipation à proprement parler.
Qu'on se le dise, Spike Jonze est pour moi l'un des cinéastes actuels à suivre. Doté d'un univers visuel très maîtrisé, qu'il manipule en fonction de ses intentions, et surtout qu'il ne laisse pas l'emprisonner dans une redondance étouffante, on lui devine un potentiel qui ne demande qu'à exploser. Her est pour moi une oeuvre remarquable de justesse qui brille par son écriture toute en retenue et sa capacité à ancrer dans notre réel un futur fantasmé qui ne semble pas si loin. Une très jolie proposition, vivement la prochaine !