Un peu longuet mais terriblement rageur, Le loup de Wall street prouve que la passion ne s'émousse pas avec l'âge. A 70 ans, Martin Scorsese accouche une nouvelle fois d'un film habité dont l'acide point de vue ne fait pas dans la dentelle. On retrouve dans son dernier film les thématiques qui l'ont rendu célèbres, un certain vent mafieux plane en effet sur le personnage de Jordan Belfort. A travers cette soif de pouvoir propre aux esprits ambitieux, Scorsese fait un parallèle saisissant entre ce magnat de la finance et les barons sans état d'âme qui peuplaient ses oeuvres les plus sanglantes. En lieu et place des assassinats stratégiques, c'est d'arnaques dont il s'agit, mais l'approche est la même. FBI, mise sur écoute, corruption, on est en pleine guerre mafieuse, les conversations habiles et la diplomatie ayant remplacé les armes.
C'est en cela que le Loup de Wall street est terriblement rafraîchissant. Il le doit en grande partie à ce personnage haut en couleurs qu'est Jordan Belfort. Il trouve en Di Caprio l'acteur idéal pour véhiculer cette soif sans borne de richesse. L'acteur est en grande forme et le prouve une nouvelle fois avec son investissement sans borne en chien fou aux dents longues. Il est tout impressionnant. Qu'il se lance dans un discours interminable dont le débit de parole ferait rêver certains rappeurs de seconde zone ou qu'il simule un trip ultime ravagé par les cachetons, aucun problème, il donne à Scorsese ce que ce dernier demande. Difficile de parler des autres acteurs, tant ils sont effacés par l'omniprésence de Di Caprio. Aucun n'existe réellement, et c'est peut être ce que l'on pourrait reprocher à ce Loup de Wall Street. Aucun personnage féminin, et pourtant ils sont nombreux et délicieux, ne prend réellement d'ampleur. On comprend l'intention de ne faire exister que son jeune loup ambitieux, mais ce côté mono personnage peut être un peu fatigant quand il est exploité pendant 3h durant.
Heureusement, à ce parti pris audacieux, Scorsese répond par une mise en scène bourrée de jolies idées. Sa caméra est, comme à son habitude, d'une mobilité folle. Elle semble tellement fluide qu'on oublierait presque ses mouvements. L'homme a vraiment un don particulier pour produire des ambiances qui lui ressemblent. Parvenir à une telle cohérence visuelle pendant 3h de temps est assez remarquable. L'homme n'a rien perdu de sa fougue et ne s'impose aucune barrière. Il s'amuse et on le comprend à travers toutes les séquences qu'il découpe à l'extrême pour apporter une ambiance
clipesques en phase complète avec le sujet qu'il traite. C'est parfois un peu gratuit, il faut le reconnaître, mais c'est jouissif tout de même. On s'en met plein la rétine avec gourmandise. Le plus appréciable étant que toutes ces séquences servent à construire le personnage de Jordan Belfort qui est rendu quelque peu infantile par Scorsese. Cette soif de matériel, qu'il ne peut assouvir que grâce à l'argent étant comparable à l'envie d'un enfant devant des jouets qu'il convoite.
Le loup de Wall Street prouve si besoin était que Scorsese est toujours en très grande forme. Son dernier film est certes un peu longuet mais jamais ennuyant, sa mise en scène étant elle uniquement faite de générosité, on ne peut que se prélasser grassement devant cette nouvelle proposition faite d'aisance et de savoir-faire. Mais le plus beau dans tout ça, c'est cet esprit aussi libre, cette fougue inaltérable qui caractérise son cinéma que l'on prend en plein visage pendant 180 minutes. C'est avec un petit sentiment de nostalgie que l'on finit le film, en espérant que la génération actuelle de cinéastes trouvera un savoir faire aussi habile qu'est celui de ce pape du cinéma. Parce qu'à plus de 70 piges, il nous rappelle que les grands noms qui nous font vibrer depuis qu'on est gamins sont en train de passer le relais, et le font avec une sacrée dose de classe.
En bonus, le parallèle tordant popeye/épinard vs Jordan/cokaïne ! J'étais franchement plié, le genre de séquence qui prouve tout l'esprit de Scorsese et surtout son putain de sens de la mise en scène. L'enchaînement des plans est tout simplement jouissif, pas mal osé et terriblement efficace. La métaphore que Scorsese utilise d'ailleurs tout le film pour montrer le côté un peu gamin de Jordan Belfort est vraiment acide.