Très sympathique film de SF d'anticipation. Evacuons tout de suite le principal défaut du film, le thème même du voyage temporel. Certes, si on se triture un peu les méninges le traitement semble parfois bancal, et ne parlons pas des paradoxes créés, ce qui est presque une routine dans le genre. Malgré cela, l'idée de passer par les souvenirs est franchement intéressante (en plus de fournir des infos en se mutilant), et permet de renouveler un terrain qui n'était pas évident à faire, avec l'idée du double présent ayant une influence constante sur le double passé (même si ça rajoute en incohérences, comme le fait de se souvenir plus précisément des actions en train d'être modifiées). Puis pour un
Blockbuster, deuxième gros atout, c'est loin d'être édulcoré. Le futur est violent (on bute des gens pour un simple vol), amoral, sans âme, bourré à craquer d'individus drogués et égoïstes, qui ne pensent qu'à se faire du fric en s'enrôlant comme tueurs à gages (la façon dont le meilleur pote est maltraité renforce cette tendance), pour buter des gars du futur (car ce sera une chose désormais impossible). Le tic-tac de l'horloge retentit comme un
gimmick, soulignant la vacuité de ces actes sans consistance et sans avenir. Bref, un pur décalque de notre époque, en l'accentuant à peine, et donc si proche de nous que l'implication est immédiate.
Autre intérêt du film, le boulot effectué sur la psychologie de la version passée et de la version présente du personnage principal, l'un en le faisant évoluer dans un cadre très westernien dans l'âme, avec une ferme et une famille à problèmes qu'il s'agit de sauver (très jolie interprétation d'
Emily Blunt au passage), et l'autre en lui apportant une touche
revenge-movie, justifiée vu ce qui lui est arrivé. Deux univers qui cohabitent bien en raison de leur voisinage naturel. En outre, la façon de passer de la cool-attitude du personnage principal à une dimension plus tragique est bien menée (en dépit de l'évocation du trauma qui en rajoute peut-être un peu trop). C'est aussi cette façon de mélanger les genres (on a droit en prime à une partie fantastique à la
Carrie qui fonctionne bien, et on nous y avait préparé) globalement fluide qui apporte une patte assez unique à ce film, en plus de nourrir des sentiments divers vis à vis des deux destinées (difficile de trancher). Le montage est aussi efficace et habile, il souligne bien le cercle vicieux dans lequel est enfermé ce personnage, tout en laissant une part de mystère jusqu'au bout quant aux motivations de ce dernier.
Avec en bonus un brin d'humour bienvenu (qui joue assez finement et avec ironie du concept même des voyages temporels, à l'image du dialogue entre les deux doubles), un bon casting (en tête
Bruce Willis qui trouve l'un de ses meilleurs rôles dans un film typé action depuis belle lurette), et nous tenons l'un des films les plus rafraichissants du genre de ces dernières années, en recyclant pourtant une mécanique bien simple (quelle motivation est la plus humainement acceptable, sacrifier un gamin pour sauver sa femme, ou l'inverse ?). La fin est légèrement prévisible (surtout déjà vue ailleurs), mais exploitée de façon originale avec la dimension temporelle, et une tonalité
bad-ass qui va au bout de ses intentions, qui fait bien plaisir. Dommage par contre que la Bande originale soit si quelconque, c'est peut-être mon seul gros bémol.
Looper c'est donc la rencontre réussie entre la SF, le western et le fantastique, doté d'un équilibre remarquable entre un monde faussement cool, dur, et déshumanisant, et une pointe d'optimisme.