L'enfer du dimanche, Oliver Stone (1999)
A la base les films sportifs me parlent moyennement, exceptés ceux qui transcendent l'exercice en communiquant la passion du jeu, et plus encore. Un pari qu'Oliver Stone réussit pleinement, en filmant ces matchs de Football américain comme des duels de gladiateurs, via son montage-bulldozer qui a fait ses preuves depuis au moins JFK, parfaitement adapté ici en captant cette sorte de frénésie tous azimuts qui s'empare du terrain et nous prend à la gorge, englobant tous les enjeux (humains, économiques, et médiatiques). Ainsi, on pourrait presque sentir le pouls du stade entier, comme les commentaires de sportif (donnés par Stone Him-self) les stratégies (et improvisations) des joueurs ainsi que leur hargne pour gagner un seul petit bout de terrain, la pression, l'histoire en train d'être écrite via les journalistes (représenté par un pauvre con prétentieux : Stone apprécie guère cette caste, et le montre sans fards avec les bollocks qu'on lui connait), les mitrailles de photos prenant les actions sur le vif, l'osmose entre tous les membres de l'équipe (joueurs, entraîneurs, docteurs, PDG) où leurs vies se règlent ici et maintenant, ou encore la folie qui s'empare du public. La BO est aussi énorme, variant son répertoire en fonction du type de scènes avec des styles qui collent à la personnalité des joueurs ou des protagonistes (on sent que Tueurs nés n'est pas loin). Bref, ce film délivre plus qu'une énième démonstration lénifiante sur le sport, mais balance un récit ample, complexe, non édulcoré du milieu du Football, dans l'action et hors du terrain, où les 2h30 sont totalement justifiées, avec une bonne dose d'excès à la Scarface.
Une référence (assumée je pense, vu que le personnage interprété par Al Pacino fait un clin d'oeil complice à son ancien rôle) que je trouve pertinente, sauf que le mouvement se fait à l'envers, l'équipe des Sharks étant des outsiders désirant renouer avec le succès à la manière d'un Rocky. Se dégage une galerie de personnages (porté par un casting cinq étoiles) over the top qui se développe sous nos yeux, avec donc une subtilité qu'on ne soupçonne pas forcément au début du film où tout va vite. On y découvre pêle-mêle un très bon Dennis Quaid, parfait pour incarner ce meneur qui a le sens de la famille, une surprenante Cameron Diaz qui montre qu'elle a des balls et sexy en diable, un phénoménal Al Pacino qui délivre une partition énergique mais aussi touchante d'un homme sur la pente descendante, Jamie Foxx, qui joue avec sobriété ce nouveau-venu du football (ce qui le sert bien, étant donnée l'ambivalence du personnage), etc., etc. Un style et un rythme de croisière speed et fragmenté qui représentent aussi une époque MTV où l'éphémère gloire ambitionnée ne colle pas vraiment avec la durabilité des relations, du respect, et du sens d'un héritage qui dépasse les individus (qui ne se réduit pas aux joueurs) au nom des valeurs de l'équipe.
Ainsi, si la première partie se concentre beaucoup sur (1) la success story du nouveau quaterback qui monte à la tête de ce dernier (entouré de pubs, de drogues, et de prostituées de luxe) qui se la joue perso, au détriment de l'ancien qui était un véritable leader au sens noble du terme (respectueux de ses co-équipiers, sens du sacrifice), sur (2) la tyrannie de la jeune PDG pensant avant tout aux statistiques et aux investissements au détriment du vieux coach cherchant surtout à (r)animer la rage de se battre parmi ses joueurs (via des discours et conseils donnés à ses joueurs, comme un père à ses enfants), et sur (3) la perte de vitesse de tout un état d'esprit désormais d'une autre époque où le sens de la victoire avait tout un autre sens et goût, la seconde partie prend justement le contre-pied en humanisant ce sport gonflé aux testostérones. C'est selon moi la grande force de ce film, de ne pas se laisser aller au tout spectaculaire en insufflant au fur et à mesure une dimension intimiste et dramatique (qui se concentre beaucoup autour de ce que cette passion dévorante enlève, jusqu'à ressembler parfois à une guerre des temps modernes). Ainsi, par petites touches le rythme se pose pour redonner ses lettres d'or à un sport qui pourrait, à première vue, être réduit à une exhibition de gros bras décervelés dopés aux amphétamines, en apportant à ces derniers de la profondeur et même un coeur (sans jamais être ridicule, en préservant justement cette touche couillue qui les caractérisent). Une oeuvre qui, en ne refoulant pas les contradictions de son sujet, se révèle ainsi sincère et entière.
Bref, un film qui file la patate et procure un énorme plaisir sensoriel de spectateur, mais qui fait aussi jaillir en son sein un récit réellement intelligent et pertinent sur un sport où, derrière les excès, les enjeux politiques, et les paradoxes (comme ces joueurs qui vivent parfois d'une manière opposée à leur idéal de joueur), se meuvent aussi et peut-être surtout une passion et des intérêts totalement humains dont l'essentiel se réduit à peu de choses, incarné par l'implication totale de ces individus qui donneraient leur vie pour être sur le terrain en équipe, et nous transpercent ainsi le coeur à plusieurs reprises (à ce titre, le dernier discours du coach incarné par Al Pacino, qui dresse un parallèle entre vie et sport, est juste fabuleux et poignant de vérité, sortant tout droit des tripes). Réussir à saisir et à transmettre tout ça en un seul film, je trouve ça juste monstrueux.
Note : 10/10